L’État expulse manu militari les opposants à la déviation de Saint-Péray en Ardèche (Reporterre-30/09/25)

Des dizaines de policiers ont été mobilisés pour l’expulsion des opposants au chantier de la déviation routière de Saint-Péray. – © Magali Stora / Reporterre

Les militants qui occupaient le chantier d’une déviation routière en Ardèche ont été expulsés par les autorités. Un déploiement de force « disproportionné » selon les opposants, qui dénoncent l’absence de dialogue.

Par Pauline de DEUS & Magali STORA (photographies).

Saint-Péray (Ardèche), reportage

Au milieu des bruits de tronçonneuses et de pelleteuses, une sirène retentit : dans le fourgon de police, trois hommes en uniforme et un autre, plus jeune, les mains menottées dans le dos. À Saint-Péray, le 29 septembre, cette scène s’est rejouée, en boucle, jusqu’à la nuit tombée. Dans cette commune ardéchoise, les habitants ont été témoins d’un déploiement de force jamais vu ici pour permettre la poursuite des travaux du chantier de la déviation routière de la route départementale 86 (RD86), qui doit artificialiser 50 hectares de terres agricoles abritant de nombreuses espèces.

De part et d’autre de la voie ferrée, une centaine de policiers étaient mobilisés. À l’intérieur du périmètre, une vingtaine d’« écureuils » perchés pour défendre arbres et végétation qui pourrait bientôt être rayée de la carte. Après un mois sur le site, les occupants ont été expulsés, un à un, avec des méthodes jugées « brutales » et « dangereuses », d’après plusieurs militants.

La police a empêché tout le monde, journalistes compris, de s’approcher des lieux de l’expulsion. © Magali Stora / Reporterre

« Ils ont fait dégringoler une fille dans les branches, pour l’autre ils ont tiré sur la corde et j’ai vu une personne tomber de plusieurs mètres de haut », raconte Jean-Luc, habitant de la commune voisine. Venu pour soutenir les opposants dès 6 heures du matin, il a eu la surprise de découvrir l’ampleur de la mobilisation policière quelques heures plus tard.

« En allant chercher mon vélo, je suis tombé sur un CRS avec un fusil mitrailleur… raconte-t-il. C’est horriblement disproportionné. » Âgé de 74 ans, il s’est lui-même détaché de l’arbre qu’il occupait pour éviter la garde à vue.

Sur le site, le défrichage et l’abattage des arbres a déjà commencé. © Magali Stora / Reporterre

Rares sont les témoins qui ont assisté à cette évacuation. Qu’il soit habitant, élu ou syndicaliste, tout passant était sommé de s’éloigner dès qu’il s’approchait de la zone. Les journalistes ont subi le même sort : interdiction de pénétrer sur le site, sur ordre des services préfectoraux.

Contactés par téléphone, ces derniers ont argué des raisons de sécurité, sans qu’un document officiel ne vienne appuyer cette décision. Durant cette journée d’évacuation, le nouveau préfet de l’Ardèche, Benoît Trévisani, n’a fait ni communiqué, ni déclaration à la presse [1].

« C’est un acharnement hors norme »

« C’est un acharnement hors norme », a dénoncé Maud Grard en fin de journée. Dans un message, l’élue régionale Les Écologistes et figure de la lutte contre la déviation de Saint-Péray, explique s’être rendue sur place après le départ des forces de l’ordre : « Ce soir, les riverains sont revenus sur site, effarés de la destruction du territoire. »

Un « acharnement » mené quelques jours seulement avant que le tribunal ne se prononce sur le référé-suspension déposé par les fédérations de protection de la nature de Drôme et d’Ardèche. Si cette procédure aboutit, le chantier sera stoppé en urgence pour préserver ces zones naturelles, ou plutôt ce qu’il en reste…

La Confédération paysanne, avec Fabien Jaccard, dénonce un «  passage en force  » alors que la chambre d’agriculture s’est prononcée contre le chantier. © Magali Stora / Reporterre

« C’est un passage en force, à l’opposé du dialogue que nous essayons de mettre en place », déplore Fabien Jaccard, membre de la Confédération paysanne. À la chambre d’agriculture de l’Ardèche, ce syndicat agricole, désormais majoritaire, a voté une motion, il y a quelques jours, pour demander l’arrêt de ce chantier.

Alors que l’Ardèche ne dispose que de peu de surfaces agricoles planes, les paysans cherchent à protéger ces terres arables rares — 3 % du territoire, contre 30 % à l’échelle du pays. « C’est du pain bénit pour des gens qui voudraient s’installer : c’est irrigable, mécanisable, t’es à côté de la ville pour vendre, à côté des fournisseurs… » analyse un maraîcher, installé dans une zone de montagne du département.

Les militants de la Confédération paysanne sont venus avec des brebis en renfort. © Magali Stora / Reporterre

Derrière eux, une vingtaine de brebis bêlent d’impatience. Quelques heures plus tôt, elles se sont dressées face aux policiers, suivies d’une cinquantaine de paysans. Rapidement bloqués dans leur avancée par les barrages, ils ont toutefois pu constater le démantèlement de plusieurs cabanes. « Les tours, tripodes, plateformes, toutes les constructions ont été détruites », raconte un militant, resté caché dans les fourrés tout au long de la journée pour éviter l’arrestation.

Pour ses camarades délogés de force, la garde à vue a été un passage quasi-obligé. Sur la vingtaine de personnes qui occupaient le site, seize ont passé la nuit au commissariat de Guilherand-Granges (Ardèche). L’avocat des Amis de la Plaine de Saint-Péray, Me Thomas Fourrey, précise que les auditions des militants sont toujours en cours au matin du 30 septembre.

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Source: https://reporterre.net/L-Etat-expulse-manu-militari-les-opposants-a-la-deviation-routiere-de-Saint-Peray-en

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