« L’objectif n’est plus de distribuer le courrier » : comment La Poste est devenue une machine à broyer ses salariés (H.fr-17/07/25)

Les syndicats de La Poste dénoncent la course effrénée à la rationalisation menée depuis dix ans.
© Quentin Top / Hans Lucas via AFP)

Engagé depuis plus de dix ans dans une course à la rentabilité, le groupe postal a récemment accéléré la cadence du rouleau compresseur destiné à baisser les coûts. Au mépris de ses missions de service public et de ses agents, dénoncent SUD et la CGT.

Par Hayet KECHIT.

Sur le parvis du tribunal correctionnel de Paris (17e arrondissement), les militants debout depuis plusieurs heures sous un soleil de plomb scrutent fébrilement les portes de sortie. À 14 heures, ce 10 juillet, les cinq syndicalistes de Sud PTT 92 émergent enfin, visage fermé, de l’enceinte judiciaire.

Gaël Quirante, leur chef de file, monte sur la tribune dressée au milieu de la place : six mois de prison avec sursis pour « violences » viennent d’être exigés à son encontre, une peine à laquelle s’ajoutent des amendes pour « violation de domicile professionnel » contre les cinq postiers.

Les faits jugés, vieux de plus de dix ans, remontent à des actions menées en 2014 dans le cadre d’une grève – avec tentative d’occupation du siège du groupe postal, mais sans aucune démonstration de violences, assurent les cinq postiers – pour laquelle la direction de La Poste a soudainement décidé de les traîner en justice.

Nous avions interrogé Gaël Quirante en 2018 :

Des plaies à vif

Clameur de révolte parmi la foule après la prise de parole du syndicaliste. Il faut dire que cette décision judiciaire remue des plaies à vif. Il suffit en effet de tendre l’oreille à ces agents venus de toute la France pour avoir un aperçu de leurs maux, dont nous arrive régulièrement un écho lointain à travers les grèves recensées dans la presse régionale, devenues quasi hebdomadaires à travers tout le territoire.

À Boën-sur-Lignon et à Riorges, dans la Loire, la mobilisation avait, par exemple, duré plus de deux semaines en février : les facteurs de la plateforme courrier dénonçaient la suppression de trois tournées de distribution ainsi que la fermeture d’un guichet professionnel, jugé trop peu fréquenté. Une réorganisation décidée « sur un coin de table, sans en référer aux instances du personnel », selon la CGT FAPT Loire.

À Avignon (Vaucluse), la réorganisation des tournées était également, en mai, au cœur de la fronde des postiers, sommés de prendre en charge à la fois la distribution des lettres, des colis et des publicités, tandis que, au même moment, une grève illimitée était décrétée dans une dizaine de bureaux de poste de la métropole d’Orléans (Loiret), à l’appel de SUD PTT, qui dénonce des « conditions de travail dégradées ». De quoi ces grèves sont-elles le nom ?

Le rouleau compresseur de la rationalisation

Elles reflètent les convulsions internes dont l’établissement public, devenu en 2010 société anonyme à capitaux publics (l’État y est actionnaire à 34 % et la Caisse des dépôts et consignations à 66 %), est le théâtre depuis que le « rouleau compresseur » de la « rationalisation » a été lancé, il y a environ une quinzaine d’années.

Le PDG du groupe, Philippe Wahl, arrivé aux manettes il y a treize ans et aujourd’hui sur le départ, avait posé un constat définitif au cœur de son premier plan stratégique, dit « La Poste 2020 : Conquérir l’avenir » : les colis ayant remplacé les lettres, les « 60 000 facteurs et factrices » du groupe postal devront s’adapter coûte que coûte à cette nouvelle donne.

Alors qu’en 1990 « 70 % du chiffre d’affaires de La Poste » était porté par le courrier, le taux est tombé « à 15 % à la fin de l’année » 2024, avait à cet égard rappelé, en avril 2024 devant les sénateurs, le dirigeant. Cette « conquête de l’avenir » est avant tout une recherche effrénée de rentabilité pour le groupe, qui mise sur la diversification de ses activités (dans la banque et l’assurance, notamment), mais aussi sur la réduction des coûts, pour compenser la baisse de son activité historique liée au courrier. Avec un certain succès : son bénéfice net évalué à 1,4 milliard d’euros a ainsi pratiquement triplé en 2024.

Épuisement, sentiment de mépris et perte de sens

Considérés comme des branches mortes dans ce vaste plan de restructuration, la distribution du courrier et l’accueil aux guichets en paient le prix. Peu importe si ces deux secteurs comptent parmi les principales missions de service public confiées au groupe par l’État, et quoi qu’il puisse en coûter en termes de conditions de travail et de qualité du service rendu aux usagers pour les agents pris dans la tourmente.

Ceux croisés sur le parvis du tribunal de Paris – dont nombre sont syndiqués à SUD ou à la CGT, en première ligne face à la direction – témoignent tous d’une détresse qui mêle, chez leurs collègues, épuisement, sentiment de mépris et perte de sens.

« Les usagers qui avaient encore cette image d’Épinal des PTT où règne une certaine quiétude disent maintenant être saisis par l’ambiance pesante aux guichets », confie Maud, postière dans le Morbihan. Difficile pour les agents qui, selon elle, « viennent travailler la boule au ventre et s’isolent régulièrement pour pleurer », de donner le change.

« On nous demande désormais d’être des facteurs multi-flux »

Suppressions de tournées, précarisation de l’emploi, troubles musculo-squelettiques liés à l’injonction faite aux agents de se démultiplier, sont les causes fréquemment citées. « On nous demande désormais d’être des facteurs multi-flux », s’émeut ainsi Yann Quay-Bizet, secrétaire départemental de SUD PTT 13.

Selon le syndicaliste, les réorganisations en cours dans les services de distribution de La Ciotat-Cassis prévoient de réduire le coût du « dernier kilomètre », celui menant du centre de tri vers le domicile, en imposant à un seul facteur de prendre en charge, en un seul passage, à la fois les lettres, les recommandés, les colis, les imprimés publicitaires. Dans ce même département, trois agents seraient par ailleurs sous le coup d’un licenciement pour « avoir désorganisé le service »… parce qu’ils étaient en arrêt maladie.

« Telle est la nouvelle formule des réorganisations, qui sont la machine à broyer des conditions de travail et du service rendu aux usagers », pointe le syndicaliste, selon qui « l’objectif n’est plus la distribution du courrier car les encadrants disent de privilégier l’imprimé publicitaire, qui rapporte le plus financièrement. »

Même constat pour Catherine Stolarz, pilote des activités Poste à la fédération CGT FAPT : « Dans l’esprit des postiers est encore ancrée cette idée qu’ils exercent des missions de service public. La direction de La Poste, elle, n’est plus dans cet état d’esprit-là. Son seul souci est d’être rentable. » Le dernier plan stratégique lancé par Philippe Wahl, en 2021, résonne dès lors de façon quelque peu ironique, avec ce titre en guise de programme : « La Poste 2030 : Engagée pour vous ». Contacté par l’Humanité, le service de presse du groupe n’a pas donné suite à nos sollicitations.

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Source: https://www.humanite.fr/social-et-economie/cgt/lobjectif-nest-plus-de-distribuer-le-courrier-comment-la-poste-est-devenue-une-machine-a-broyer-ses-salaries

URL de cet article: https://lherminerouge.fr/lobjectif-nest-plus-de-distribuer-le-courrier-comment-la-poste-est-devenue-une-machine-a-broyer-ses-salaries-h-fr-17-07-25/

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