
L’Assemblée nationale a adopté la loi Duplomb. Ce texte, honni par l’ensemble des écologistes, facilite l’utilisation de pesticides dangereux, la construction de mégabassines et l’élevage industriel.
Par Alexandre REZA-KOKABI, Laury-Anne CHOLEZ, Louise MOHAMMEDI et Marie ASTIER.
C’est une loi qui contient de grandes régressions, mais qui est passée comme une lettre à la poste. Le 8 juillet 2025, l’Assemblée nationale a définitivement adopté, par 316 voix pour, 223 contre et 25 abstentions, la proposition de loi « visant à lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur », portée par les sénateurs Laurent Duplomb (Les Républicains) et Franck Menonville (Union centriste). Ce texte, largement coécrit par la FNSEA, a été validé sans heurts au Palais-Bourbon, après avoir franchi l’étape de la commission mixte paritaire le 30 juin, puis obtenu l’aval du Sénat le 2 juillet.
Derrière l’objectif affiché de simplifier le quotidien des agriculteurs, le texte remet en cause des garde-fous environnementaux patiemment construits depuis deux décennies. Il s’inscrit dans une séquence politique marquée par un détricotage méthodique du droit de l’environnement : suppression des zones à faibles émissions (ZFE) et tentative de moratoire sur l’éolien et le solaire.
Cette loi qualifie désormais les mégabassines d’intérêt général majeur, assouplit les procédures pour construire des élevages intensifs, et rouvre la porte à l’usage de pesticides interdits au nom d’une prétendue compétitivité agricole. Reporterre fait le point sur ce que contient ce texte.
Pesticides en pagaille
L’article 1 de la loi met fin à un dispositif qui visait à diminuer l’utilisation des pesticides en agriculture : la séparation de la vente et du conseil (pour éviter que le conseiller agricole conseille… d’acheter des pesticides). « C’était une fausse bonne idée », dit Dominique Potier, député socialiste.
Il aurait tout de même souhaité, en échange de cette suppression, la mise en place d’un « vrai conseil agronomique » pour accompagner les agriculteurs. « Or, il est proposé un module de quatre heures tous les cinq ans, ce n’est pas à la hauteur, aucune mesure ne permet une trajectoire de sortie des pesticides », regrette-t-il.
Au contraire, l’article 2 introduit une possibilité de déroger à l’interdiction de certains pesticides de la famille des néonicotinoïdes. « Il s’agit de l’acétamipride, du sulfoxaflor et du flupyradifurone », liste Yoann Coulmont, chargé de plaidoyer chez Générations Futures. « Nous sommes le seul pays en Europe à être tombés dans le piège qui consiste à interdire des produits autorisés partout ailleurs », a justifié Laurent Duplomb en commission mixte paritaire.
Yoann Coulmont dénonce lui une dérogation très large, « sans limite temporelle », et basée sur la notion floue de « menace grave compromettant la production agricole ». « Elle n’est pas définie par le texte », déplore-t-il. Le député LR Julien Dive s’est félicité que « 500 000 hectares, soit 1,35 % de la surface agricole utilisée » puissent être concernés par le retour de ces néonicotinoïdes.
Encourager les mégabassines
Les vannes vont être grandes ouvertes pour la construction de nouvelles mégabassines qui sont désormais considérées comme répondant « à une Raison impérative d’intérêt public majeur » (RIIPM). Ce qui signifie qu’elles vont pouvoir être construites dans les secteurs où se trouvent des espèces protégées.
Actuellement, tous les projets d’infrastructures doivent déposer une demande de dérogation pour porter atteinte à ces espèces protégées. Pour cela, leur projet doit répondre à une RIIPM. Or, jusqu’à aujourd’hui, les juges ne reconnaissaient pas forcément l’intérêt général de ces retenues agricoles qui ne bénéficient qu’à une minorité. Seuls 15 % des exploitants français sont des irriguant et parmi eux, seul 1 % d’entre eux sera connecté aux mégabassines. Ils cultivent en grande partie des céréales destinées à l’exportation.
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« On a créé une élite dans l’élite », déplore Marie Marie Bomare, responsable de la cellule juridique de Nature environnement 17. La loi Duplomb va considérablement entraver le travail de cette juriste, mais ce n’est pas la première fois. Déjà en mai 2024, un décret spécifique aux usages hydrauliques agricoles avaient réduit la durée au cours de laquelle il est possible de déposer un recours contre ces bassines.
Quelle solution restera-t-il aux opposants pour freiner cet accaparement de l’eau ? La solution viendra peut-être de l’intérieur : la Coopérative de l’eau qui gère les mégabassines est en difficulté financière car les coûts de ces ouvrages ont explosé.
Faciliter l’élevage industriel
Alors que les petites exploitations agricoles peinent à survivre, le gouvernement encourage les fermes plus intensives. La quasi-unanimité des députés est favorable à un assouplissement des seuils des polluantes installations agricoles classées pour la protection de l’environnement (ICPE). Concrètement, l’article 3 du texte de loi fait passer ces seuils d’évaluation systématique de 40 000 à 85 000 emplacements pour les élevages de volailles, de 2 000 à 3 000 emplacements pour les porcs de production (directement élevés pour leur viande) et de 750 à 900 emplacements pour les truies (utilisées pour la reproduction puis pour des produits transformés lorsqu’elles deviennent moins productives).
« La loi allège la procédure d’autorisation qui était pourtant nécessaire au contrôle des élevages intensifs. Une ferme avec des dizaines de milliers d’animaux devrait avoir un régime strict », regrette Thomas Uthayakumar, directeur des programmes de la Fondation pour la nature et l’homme (FNH).
« Le régime ICPE, qui concerne seulement 3 % des élevages en France, permettait de contrôler les aspects négatifs de ces fermes-usines sur l’environnement », explique-t-il. Pollution azotée, rejets d’ammoniac lors des épandages, pollution de l’air, de l’eau et du sol… Assouplir le régime ICPE aura des conséquences graves sur l’environnement, et sur la santé des personnes vivant à proximité des élevages intensifs.
« Aider ces installations met aussi en danger les petits éleveurs alors que l’objectif était de leur assurer un revenu plus digne. La loi Duplomb est une stratégie de diversion qui profite aux grandes fermes capitalisées et intégrées aux filières agroalimentaires sous couvert de protéger les plus modestes », dénonce Thomas Uthayakumar.
La police de l’environnement sous tutelle préfectorale
L’article 6 de la loi Duplomb acte une évolution majeure — et inquiétante — pour la police de l’environnement. Jusqu’ici, elle exerçait sa mission sous la tutelle des ministères de l’Agriculture et l’Environnement, avec une indépendance dans la conduite de ses missions. Désormais, l’Office français de la biodiversité (OFB), qui coordonne les missions de surveillance et de contrôle de la nature, voit son action placée sous la tutelle directe du préfet et du procureur de la République.
Concrètement, le texte modifie l’article L.131-9 du Code de l’environnement : les agents de l’OFB contribuent désormais à leurs missions « sous l’autorité du représentant de l’État dans le département » (le préfet donc) pour la police administrative, et « sous la direction du procureur » pour les affaires judiciaires. Surtout, le préfet se voit confier le pouvoir d’approuver la programmation annuelle des contrôles, ce qui n’était pas le cas jusqu’alors.
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Pour Sylvain Michel, technicien à l’OFB et syndicaliste CGT Environnement, cette réforme entérine « un droit de veto des préfets » sur les priorités de terrain. « Jusqu’ici, les plans de contrôle étaient construits avec les services déconcentrés, selon les enjeux écologiques du territoire. Demain, un préfet proche de certains lobbies agricoles ou industriels pourra orienter nos missions, voire en bloquer certaines. »
Les contrôles sur les secteurs les plus sensibles (agriculture intensive, BTP, carrières, etc.) pourraient mécaniquement baisser, au profit de contrôles sur des cibles moins exposées politiquement. Le risque, selon lui : une police de l’environnement rendue inopérante dans les territoires les plus sous pression, et une rupture d’égalité entre les usagers.
L’indépendance de l’Anses préservée, pour l’instant
C’était l’un des points les plus explosifs du texte initial : la tentative de mise sous tutelle politique de l’Anses, l’agence chargée d’évaluer les risques sanitaires et de délivrer les autorisations de mise sur le marché des pesticides. Depuis 2015, cette mission relève exclusivement de l’agence.
La version sénatoriale de la proposition de loi entendait rétablir une tutelle des ministères, via notamment un conseil d’orientation chargé de prioriser certaines substances. Ces dispositions, qui auraient compromis l’indépendance scientifique de l’agence, ont finalement été retirées en commission mixte paritaire. Une victoire de justesse, arrachée par les oppositions, les ONG et une partie de la majorité.
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« C’est la seule victoire que l’on peut s’attribuer », dit Dominique Potier (PS). Sans quoi « le moteur de retrait des molécules les plus dangereuses aurait été stoppé ». Pour François Veillerette, porte-parole de Générations Futures, le pire a été évité : « Cela aurait permis de faire passer en priorité des pesticides sans justification sanitaire. »
Il regrette cependant le maintien du Comité des solutions, inscrit à l’article 2, qui réunit les filières agricoles autour des cas dits d’« impasse technique » — c’est-à-dire des situations où aucune alternative permettant de traiter efficacement une menace agricole ne serait disponible selon les producteurs. Cette instance, jugée opaque et déséquilibrée, pourrait exercer une pression indirecte sur l’Anses.
La menace n’est donc pas totalement écartée. « L’indépendance est préservée sur le papier, mais les attaques reviendront », prévient Veillerette. En mars, le directeur de l’agence, Benoît Vallet, avait menacé de démissionner si les dispositifs les plus intrusifs étaient adoptés. Ils ne l’ont pas été — pour cette fois.
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Source: https://reporterre.net/Loi-Duplomb-adoption-d-un-texte-funeste-pour-l-environnement
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