Mâchoire d’un Gilet jaune fracassée par un tir de LBD : le policier condamné à du sursis (StreetPress-14/10/25)

Image de Une prise par Yann Castanier, lors de l’acte IV des Gilets jaunes à Paris sur les Champs-Élysées le 8 décembre 2018.

Sept ans après les faits, un policier a été condamné à six mois de prison avec sursis pour avoir tiré au LBD-40 dans la tête d’un Gilet jaune en 2018, le blessant grièvement à la mâchoire. StreetPress était présent au procès.

Par Vincent VICTOR

Lorsque le délibéré contre Romain P. est rendu ce mardi 14 octobre dans la 10ème chambre du tribunal correctionnel de Paris (75), aucun soulagement ne se fait entendre sur les bancs de la partie civile. Comme un mois plus tôt, à l’audience du 16 septembre, David Delearde, 38 ans, n’a pas trouvé la force de revoir le policier qui, sept ans plus tôt, lui a tiré dessus au lanceur de balles de défense (LBD), le blessant grièvement à la mâchoire. Le tailleur de pierre pour les monuments historiques a enfin réussi à se reconstruire malgré le trou dans sa gencive où les greffes n’ont jamais pris. « Il devait venir, mais c’était trop dur », avait rapporté son avocate Chloé Chalot. « Il m’a dit : “Si je reviens dans cette salle, ça va me remettre dans des mauvais sentiments, je veux avancer dans ma vie”. »

Dans une décision « très mûrement réfléchie et débattue », le tribunal a tenu à rappeler que « l’atteinte à l’intégrité physique dans une manifestation ne peut être légalement justifiée que par un recours à la force strictement nécessaire et proportionné ». Or, le LBD « constitue une arme de défense visant non pas une foule mais un individu particulier » tandis que « la menace représentée par David Delearde [n’a pas été] démontrée ». Les circonstances particulières du tir qu’a défendu le policier, notamment « l’insuffisance d’effectifs » et le « manque de munitions », ont cependant poussé le tribunal à prononcer une peine « d’avertissement » afin « de ne pas entraver la poursuite de sa carrière. » L’agent Romain P. a donc été condamné à six mois de prison avec sursis. Sollicitée par StreetPress, son avocate Maître Anne-Laure Compoint a immédiatement fait appel. Elle n’a pas souhaité commenter.

120 jours d’ITT au total

Le 1er décembre 2018 lors de « l’Acte III » des Gilets Jaunes, David est venu des Yvelines (78) avec sa compagne pour défiler pacifiquement sur les Champs-Élysées, avant que les premiers affrontements sur la place de l’Étoile ne les décident à rentrer chez eux. Mais en retournant vers leur voiture, sur la rue Paul Valéry peu après 16h, le couple tombe sur une unité de la 11ème compagnie d’intervention qui bloque la rue. « On s’est approché d’eux tranquillement, main dans la main, les bras en l’air », a-t-il écrit dans sa lettre-plainte lue par la présidente à l’audience :

« Arrivés à environ 10m, [un policier] nous tire dessus avec un LBD, sans aucune sommation ni cri de leur part. Ma mâchoire explose sous la puissance du tir. »

Un infirmier présent comme « street-médic », retrouvé par l’IGPN, le voit « s’effondrer subitement au sol, tomber vers l’avant et s’écraser face contre terre ». C’est lorsqu’il pivote sur le côté l’homme inconscient qu’il « se rend compte de la gravité de ses blessures ». Conduit à l’hôpital Pompidou, les médecins constatent à David plusieurs fractures à la mâchoire et au palais, avec la perte de substance osseuse, de quatre dents et de 2,5 cm de lèvre supérieure. 90 jours d’ITT lui sont délivrés par les unités médico-judiciaires de l’Hôtel-Dieu. Auxquels s’ajoutent 30 jours d’ITT psychologiques pour « le choc sur l’état de son visage, des troubles du sommeil persistants, une hyper-vigilance, un sentiment d’insécurité “dès qu’il voit un policier” et des ruminations anxieuses », continue la présidente. À l’époque, la presse parle de « deux ans de reconstruction faciale » à venir.

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55 tirs de LBD en une journée par le policier

À la barre, Romain P., désormais brigadier-chef dans une brigade territoriale de contact des Hauts-de-Seine (92), défend devant les juges la même position que durant toute la procédure : celle d’un tir de dernier recours face à une « horde » de manifestants. Il aurait utilisé le LBD car ni les charges, ni les grenades n’auraient eu « l’effet escompté ». Lors de son audition par l’IGPN, le policier de 36 ans a affirmé :

« J’ai décidé d’impacter l’un d’entre eux afin de les stopper. Le LBD a un impact psychologique important qui permet de faire reculer un groupe que rien d’autre n’arrête. »

Un tir « fait instinctivement et proportionnellement », a-t-il également indiqué devant la juge d’instruction. Comme ses collègues, il dresse dans ses diverses auditions l’image d’une journée « anarchique et insécuritaire » d’une « violence inconnue jusqu’ici, inouïe ». Un contexte « apocalyptique » a renchéri le commandant de l’unité interrogé par les enquêteurs, où il n’était « pas envisageable de reculer » au risque d’exposer selon lui le parc automobile où sont situés « les blessés et le stock d’armes et de munitions ». Seul de son unité à être porteur d’un LBD ce jour-là, et alors que c’était la première fois qu’il l’utilisait l’arme en situation, Romain P. a tiré 55 fois. Un niveau d’utilisation « démesuré », reconnaît-il lui-même à l’audience.

Sans minimiser le « contexte très particulier », le tribunal ne veut pas se laisser impressionner. « La question, c’est la raison pour laquelle vous avez ciblé spécialement M. Delearde », lui rappelle la présidente, qui estime ses explications devant les enquêteurs et la juge d’instruction « sinon confuses, peut-être contradictoires ».

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Car ce n’est qu’à son audition libre, plus de six mois après les faits, que le policier accuse le manifestant d’avoir « armé son bras » pour lancer un projectile sans toutefois être en mesure de décrire « ce qu’il tenait en main ». Puis d’affirmer devant la juge d’instruction l’avoir vu jeter des projectiles en direction des policiers à plusieurs reprises avant de tirer. Une accusation toujours contestée par l’intéressé et qu’aucun élément dans la procédure ne permet de confirmer. Sa « fiche TSUA » (traitement relatif au suivi de l’usage des armes) dressée juste après la manifestation n’en fait d’ailleurs aucune mention. Cette dernière, censée préciser les circonstances et motifs de chaque utilisation d’une arme, justifie d’un même paragraphe ses 55 tirs, qui auraient d’ailleurs tous impacté les manifestants « en dessous de la ligne d’épaule ». Il n’aurait ainsi, selon ses déclarations, jamais été conscient d’avoir touché David Delearde à la tête. De quoi interroger la présidente :

« C’est courant que des gens s’effondrent face contre terre suite à un tir de LBD ? »

« Dans le buste, ça coupe le souffle, vous vous retrouvez à terre direct », justifie-t-il. La même fiche précise que « les personnes impactées n’ont pas fait l’objet de blessures et lésions graves, n’ayant jamais perdu ces derniers de vue lors des minutes suivantes » après les tirs. « Une phrase générique », reconnaît-il à l’audience.

Quant à savoir si le policier a visé le torse du manifestant — comme il l’affirme — ou la tête, aucun élément de l’enquête ne permet de trancher. Pour la juge d’instruction, la question est plus large. « Romain P. ne pouvait pas ignorer qu’en visant le torse, son tir pouvait atteindre le visage de la victime compte tenu de l’imprécision de l’arme. Celle-ci étant d’ailleurs avérée par le fait qu’un policier peut obtenir son habilitation en ne mettant que deux projectiles au but sur cinq », tonne-t-elle sévèrement dans son ordonnance de renvoi devant le tribunal. Avant de conclure qu’« il n’est pas avéré que cet usage était absolument nécessaire (…) et proportionné au trouble à faire cesser ». Une analyse non suivie par le parquet. À l’audience, la procureure a requis la relaxe faute, selon elle, de pouvoir exiger du mis en cause de « prouver que le plaignant n’était pas dangereux ».

Notre-Dame-des-Poulets

L’avocate du fonctionnaire, Maître Anne-Laure Compoint, ne s’embarrasse elle d’aucune prudence :

« Ce jour-là, ce n’était pas des black-blocks, c’était des jeunes, des vieux, papis-mamies, qui récupèrent des armes et jettent des bouteilles de pinard. »

Pendant près d’une demi-heure, l’avocate spécialiste des dossiers des forces de l’ordre, surnommé « Notre-Dame-des-Poulets » par Les Jours, enchaine à un rythme effréné les attaques et les moqueries contre les manifestants et les victimes de violences policières. En faisant les cent pas dans le prétoire, elle questionne pourquoi « 100% des gens blessés vous disent qu’ils sont innocents. Soit c’est coup à pas de bol, soit [les policiers] ne visent pas bien ». Puis s’attaque à David Delearde, cette « pauvre victime » qu’elle accuse de mentir, et marche en canard pour imiter — et tourner en ridicule — le manifestant qui s’avançait bras en l’air en direction des policiers. Devant les juges silencieux, elle continue en se frappant la mâchoire :

« Je ne dis pas qu’il n’a pas pu s’alimenter. Je ne dis pas qu’il n’a pas un truc en moins mais ça ne veut pas dire qu’il ne dit pas des mensonges. »

Et finit par s’exclamer, à propos d’un coup de matraque qu’aurait reçu David Delearde quelques instants plus tôt : « Encore une fois victime d’un acte policier injuste ! » Si la parole de l’avocate est libre, le spectacle est abject. Dans le public, une femme mutilée venue assister aux débats « a envie de vomir ».

Romain P. aura, lui, au moins eu la dignité de ne pas minimiser les « conséquences dramatiques » de son tir : « Il ne faut pas avoir de cœur pour ne pas s’en rendre compte. » Lors d’une manifestation de soignants le 16 juin 2020, le fonctionnaire a été balayé et frappé au sol par plusieurs manifestants. Bilan : traumatisme crânien, fracture de la mâchoire et 14 dents cassées. De retour au même poste après 14 mois d’arrêt, il ne s’est pas fait recycler l’habilitation nécessaire à l’utilisation de l’arme de force intermédiaire :

« Le LBD, c’est une arme que je n’ai plus envie de toucher. »

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Source: https://www.streetpress.com/sujet/1760449149-machoire-gilet-jaune-fracassee-tir-lbd-policier-condamne-prison-violences-paris-justice-acte-mutiles-handicap-nunez

URL de cet article: https://lherminerouge.fr/machoire-dun-gilet-jaune-fracassee-par-un-tir-de-lbd-le-policier-condamne-a-du-sursis-streetpress-14-10-25/

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