
La CGT santé appelle à une journée d’action ce 9 octobre pour dénoncer l’austérité qui s’abat sur les soignants. Alors que l’accès aux soins n’a jamais été aussi dégradé, la fédération, par la voix de sa secrétaire générale, Barbara Filhol, exige la refonte du financement de notre système.
Entretien réalisé par Cécile ROUSSEAU.
Élue secrétaire générale de la CGT Santé et action sociale en mai dernier, Barbara Filhol espère que la journée d’action spécifique au secteur permettra de remettre sur le devant de la scène les revendications pour sauver le système de soins. Les fédérations CGT de la chimie, des services publics, des organismes sociaux, l’union fédérale des retraités tout comme les unions départementales se joignent également à la mobilisation. Des rassemblements ont lieu un peu partout en France et à midi devant le ministère de la Santé.
La CGT santé appelle à une journée d’action ce 9 octobre dans un contexte de grande instabilité politique. Pourquoi une mobilisation spécifique au secteur est-elle nécessaire ?
L’idée d’une journée de mobilisation centrée sur nos revendications, actée lors de notre dernier congrès, se percute avec l’actualité budgétaire. Avec les 5,5 milliards d’économies sur la santé et l’action sociale toujours prévues dans le futur PLFSS (Projet de loi de financement de la sécurité sociale), la colère est montée d’un cran. Idem concernant la question du doublement des franchises médicales (reste à charge pour les patients sur les médicaments ou les consultations). La mesure, qui est en réalité un quadruplement en deux ans, a bien failli passer par décret.
Il y aura 17 rassemblements en région, 34 initiatives dans les hôpitauxet 39 bus de manifestants vont converger vers le ministère de la Santé. Mais pour l’instant, vu l’instabilité gouvernementale, nous ne savons pas par qui nous allons être reçus… Comme la bataille contre le PLFSS est aussi politique, j’attends que les élus qui nous soutiennent nous rejoignent aujourd’hui.
Nous leur avons adressé une lettre en ce sens. De leur côté, les agents se sentent méprisés et abandonnés. Ils ont découvert dans la presse cet été le courrier adressé aux établissements hospitaliers et aux Agences régionales de santé (ARS) concernant les stocks stratégiques à constituer d’ici mars 2026 en prévision d’une guerre. Ce qui paraît absurde puisque les hôpitaux n’ont déjà pas d’argent pour fonctionner.
Les menaces planant sur le complément de traitement indiciaire (CTI) de 183 euros du Ségur de la santé ont aussi mis le feu aux poudres. Agnès Buzyn, l’ancienne ministre de la Santé, a rappelé qu’il coûtait treize milliards d’euros aux finances publiques par an.
« Sans la mobilisation, nous n’aurions jamais eu cette mesure du Ségur de la santé »
Mais pour l’instant, il pèse surtout sur les établissements : alors que son coût devrait être compensé par l’État, cela n’a jamais été le cas ! Sans la mobilisation, nous n’aurions jamais eu cette mesure du Ségur de la santé. Mais comme ce CTI n’est pas intégré au traitement de base, il peut nous être retiré à tout moment.
Assiste-t-on à un retour de flamme des mobilisations dans la santé comme durant la période pré et post-Covid ?
Il n’y a pas un jour sans grève dans le secteur de la santé. Les usagers et les agents vivent déjà les mesures d’austérité au quotidien. Des millions d’heures supplémentaires ne sont toujours pas payées aux personnels alors qu’il y a un plan d’apurement dans la police nationale.
On nous dit qu’il n’y a pas d’argent pour augmenter les agents sur le pont 365 jours par an, mais le gouvernement a pris en catimini un décret pour doubler la rémunération forfaitaire des gardes pour les médecins libéraux travaillant à l’hôpital.
Il y a deux ans, le Sénat avait pourtant adopté la loi Rist, car leurs tarifs étaient tels que les établissements ne pouvaient plus les supporter. Idem pour les pharmaciens, qui ne se sont mis en grève qu’un seul jour, le 18 septembre, avant de signer un accord dans la foulée.
Nombre d’agents ressentent donc un fort sentiment d’injustice. Parfois, je me dis que le slogan de 1988 des infirmières « ni nonnes, ni bonnes, ni connes » vaut toujours. Heureusement, beaucoup de luttes se soldent par des victoires. Au centre hospitalier de Calais (Pas-de-Calais), les soignants qui avaient mis en place un mur de la honte en affichant les cas d’accueils dégradés vécus par des patients ont obtenu des postes.
Au Centre hospitalier intercommunal de Villeneuve-Saint-Georges (Essonne), les personnels des urgences se sont mis en grève à 100 % entre fin novembre et début janvier. Du jamais vu. Ils ont gagné 14 postes dont un cadre de santé.
Comment rendre ces actions visibles avec des personnels soignants assignés, donc obligés de rester à leur poste ?
Dans les cortèges, on ne voit pas beaucoup de blouses blanches alors qu’elles sont massivement grévistes. Par exemple, au centre hospitalier de Digne (Alpes-de-Haute-Provence), le 18 septembre, 22 % d’entre eux s’étaient déclarés grévistes, ce qui n’était pas arrivé depuis une dizaine d’années.
Les soignants de l’Assistance Publique des hôpitaux de Paris (AP-HP) se sont également fortement mobilisés. La question qui se pose toutefois est celle des modalités d’actions : quand on est assigné (réquisitionné pour assurer la permanence des soins), que peut-on faire pour montrer que nous sommes en grève ? D’autant que les directeurs sont malins : en période de mobilisation, ils assignent un peu plus que nécessaire, si bien que les personnels sont parfois plus nombreux que les jours ordinaires.
Nous n’avons pas encore les réponses, mais de plus en plus d’agents s’interrogent. Il faut trouver des modalités qui désorganisent les soins sans que ce soit du sabotage. Par exemple, il y a des Ehpad où les repas ont été décalés. Les salariés faisaient une heure ou deux de débrayages à tour de rôle de 11 h 30 à 13 h 30. Les résidents ont mangé plus tard. Du coup, les familles sont venues voir le directeur en râlant. Il ne peut plus ignorer la situation.
D’autres fédérations de la CGT participent à cette journée d’action. Qu’en est-il des usagers ?
La prise en charge des patients ne cesse de se dégrader : il y a des morts à l’hôpital qui sont évitables. En vingt ans, 80 000 lits ont disparu soit 4 000 en moyenne par an. Quel que soit le gouvernement et la couleur politique, c’est devenu automatique. Que les usagers s’emparent de cette journée d’action et se mobilisent est l’un de nos objectifs. La santé, c’est la première préoccupation des Français avant le pouvoir d’achat.
Mais les patients font trop confiance aux professionnels pour défendre l’accès aux soins. Comment faire comprendre que tout le monde est concerné ? Quand ils attendent trois heures aux urgences, les malades ne se disent jamais : « Tiens, si j’avais lutté avec eux quand j’avais vu que le service était en grève, il y aurait peut-être eu deux aides-soignantes supplémentaires. »
Quelles réformes de fond sont nécessaires pour sauver le système ?
Lors de notre congrès, nous avons pris des orientations fortes sur l’abandon du principe même du PLFSS et de l’Ondam (l’Objectif national des dépenses d’Assurance Maladie). Ça suffit que ce soit l’État qui décide des dépenses de santé pour le pays ! En attendant de sortir de ce schéma qui ne fonctionne pas, nous exigeons un Ondam en hausse de plus de 10 %, juste pour maintenir l’existant.
Au contraire, on s’attend à ce qu’un gouvernement nous propose autour de + 2 %, auxquels il va, en plus, falloir enlever les 5,5 milliards d’euros du plan d’austérité… Notre objectif est aussi de sortir la santé, l’action sociale et l’accompagnement du système lucratif.
Il faut également arrêter les exonérations de cotisations patronales qui creusent le déficitde la Sécu (elles ont quadruplé entre 2014 et 2024, pour atteindre 77 milliards d’euros – NDLR) et revenir à une Sécurité sociale à 100 %. Avec un seul collecteur et un seul payeur, il n’y aura plus besoin ni de l’assurantiel, ni des mutuelles.
Alors que la Sécurité sociale vient de fêter ses 80 ans, comment revenir à cet esprit originel ?
La Sécurité sociale intégrale, c’est-à-dire la protection de la naissance à la mort dans un parcours professionnel avec des ruptures, c’était l’essence même de la vision d’Ambroise Croizat. Pour revenir à cet esprit originel, il faut élargir l’assiette de cotisations et réévaluer leur montant, aujourd’hui gelé. Pour cela, des choix politiques forts sont nécessaires. On peut mener toutes les luttes qu’on veut et mettre des millions de gens dans la rue, on n’y arrivera pas sans relais à l’Assemblée nationale et sans électrochoc politique.
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