
L’usine Saupiquet de Quimper, 150 salariés, ferme. Elle baissera progressivement le rideau à partir du 20 décembre. Michèle Guyader, qui y a travaillé durant 42 ans, nous livre ses bons et moins bon souvenirs. Un hommage à tous les salariés de ce qui fut l’un des grands outils industriels de la ville préfecture.
Par Olivier SCAGLIA.
« Mon rôle, c’était d’enlever le sang et la peau des thons de 300 à 400 kg cuits dans une étuve. Après, ils étaient émiettés et mis en boîte. Pour faire des salades à la catalane, par exemple ». Michèle Guyader a 18 ans quand elle commence à travailler sur les chaînes de l’usine Saupiquet de Quimper. On est en 1976. Elle sort du Paraclet où elle a suivi des études de… secrétariat. Père maçon, mère au foyer et grande fratrie : la jeune femme veut rapidement s’assurer un revenu. Elle sait pouvoir le faire dans l’usine de Kergolvez. Chez Saupiquet, les conditions sont rudes mais le boulot est là et le job peu qualifié est faisable. Dans un contexte économique général de chômage, entre les chocs pétroliers, l’avènement du néolibéralisme et la dynamique d’affranchissement sociale des femmes, elle n’hésite pas. « En attendant de trouver mieux ailleurs… » Elle y aura passé 42 ans, soit l’intégralité de sa vie professionnelle. Avec du bien et du nettement moins bien, souvent amorti par l’épaisseur du lien social tissé au rythme des « 2-8 » enquillées durant toute une vie.
« Je me doutais que ça allait venir »
La fermeture de SON usine, propriété de la multinationale Bolton Food depuis 1999, la touche évidemment. Celle qui en est sortie par la grande porte de la retraite en 2018, après avoir occupé bien des fonctions, dit avoir senti un changement radical dans les années proches de son départ, « dès lors qu’il y a eu un nouvel atelier de mis en place ».
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Michèle, qui s’est assez vite engagée syndicalement – d’abord à la CGT puis à la CFDT – confie son sentiment sans récrimination : « Je m’en doutais. Ça ne marchait plus comme avant. Ça allait de mal en pis. Comme si notre usine n’était pas un outil prioritaire. Puis Bolton Food y a cru à Quimper. Et nous aussi. La main-d’œuvre doit être moins chère ailleurs. Tout part à l’étranger. Mais on a besoin de travailler, nous aussi ! Ça fait mal au cœur parce que je connais des gens qui se voyaient finir leur carrière là ».
Front commun
Le lien social ? C’est surtout les copines de boulot et cette ambiance toujours en forme de front commun face à la pénibilité des tâches. « C’était vraiment une deuxième famille. Faut dire qu’on passait plus de temps ensemble qu’avec notre mari et nos enfants », sourit-elle, le regard bleu lâchant un peu de son perçant pour flotter dans le vague de la mémoire.
« On était beaucoup de la même génération. On est arrivées à l’usine à la même époque. Puis on s’est mariées, on a eu des enfants avant de construire une maison, puis les premiers petits-enfants. On a vécu tout ça ensemble. Du coup, il y avait une forme de solidarité. » Michèle, aujourd’hui âgée de 66 ans, se souvient tout particulièrement d’un mouvement de grève dans les années 80 et de l’occupation de l’usine : « On se retrouvait dans le réfectoire. On se relayait jour et nuit. On tricotait ».
On se lâchait durant les pauses : des sacrées rigolades. Tout le quartier du Moulin-Vert devait nous entendre
« Rire, chanter, se faire des blagues. On se lâchait durant les pauses : des sacrées rigolades. Tout le quartier du Moulin-Vert devait nous entendre. » Tout au long de sa carrière, ce lien, cette « bonne ambiance », a aidé Michèle et ses collègues à encaisser la pénibilité de tâches dont le sens n’était défini que par les objectifs de performance de l’entreprise et le salaire afférent.
Les signes de la pénibilité
Alors, non, c’est sûr, elle ne dit pas que c’était Germinal, Michèle, même avec le recul de ses six années de retraite. Mais elle n’oublie rien. De toute façon, le corps, incontournable album souvenirs, sait bien aiguillonner la mémoire. « C’est vrai qu’on bossait beaucoup au physique. Mon genou me le rappelle tous les jours. » Ou encore cette main qu’il a fallu opérer pour corriger un doigt à ressaut, « comme à peu près toutes les ouvrières de cette époque ». L’arrivée sur les chaînes de couteaux au manche plus ergonomique et individuel a été, ici, une grande victoire. « Oui les femmes ont souffert à une époque mais on résistait grâce à la bonne ambiance ». Sans dramatiser, Michèle évoque aussi les odeurs et surtout le bruit, brouhaha mécanique permanent. « Ça s’est amélioré petit à petit ». Elle concède avec pudeur avoir craqué plusieurs fois. Pas tant lâchée par le corps que par un moral passé au noir d’une relation hiérarchique délétère. « Comme une éponge, on prend, on prend et à la fin ça déborde. »
Émoussée par la routine et fatiguée par la position debout, Michèle a même essayé de s’échapper de sa tôle. « J’ai fait une formation de conducteur de bus pendant trois mois à Loudéac. Mais il n’y avait pas de place sur Quimper ». Retour chez Saupiquet. Sauf qu’elle se voit proposer un autre poste. Et n’y lit pas un sarcasme du système parce que ce poste est plus intéressant.
« Je n’ai pas de regret. Je peux dire que j’ai eu une belle vie de travail », estime Michèle Guyader qui, ultime cynisme de la mécanique, a vécu les quinze dernières années de sa carrière dans la fonction de « conductrice d’ensemble » à Kergolvez. Tous les ans avec sa bande d’anciens de Saupiquet, ils se retrouvent autour d’un repas : « Ça entretient le lien. »
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