Palestine (1917-1949)-Figures d’un Colonialisme de remplacement : un livre de Jacques Pous-Ed. L’Harmattan (Communistes-Hebdo 4/08/25)

Jacques Pous est l’auteur d’un livre remarquable sur la Palestine2 : Palestine (1917-1949) Figures d’un Colonialisme de Remplacement. Ce livre s’attache à analyser la nature profonde du sionisme et son histoire comme les éléments clé qui permettent de comprendre la situation en Palestine. Jacques Pous qui vit aujourd’hui en Suisse, est né en 1935 à Toulouse. C’est un militant anticolonialiste et anti-impérialiste3 dont l’acte originel et décisif de sa vie militante a été le refus de participer à la guerre contre le peuple algérien, refus qui s’est traduit par sa désertion. Son engagement avec les peuples en lutte pour leur libération nationale traverse sa vie militante.

Après des études de philosophie scolastique et de théologie au Grand Séminaire des Missions Étrangères de Paris il obtient son baccalauréat de philosophie scolastique de l’Institut Catholique de Paris. Après deux années de Missions étrangères de Paris, Jacques Pous se sent de plus en plus étranger dans une société missionnaire traditionnelle attachée à une vision du monde et de l’Eglise catholique réactionnaire qui n’a rien de commun avec le catholicisme évangélique qu’il a connu précédemment. Il rejoint alors les Fraternités Charles de Foucauld qui lui proposent de mener une vie contemplative, Au cœur des masses (titre de l’ouvrage du Père Voillaume, fondateur de cet ordre religieux), c’est-à-dire une vie à la fois monastique et de travail non pas dans un monastère mais dans la société telle qu’elle existe au sein de laquelle il pourra partager une vie de travail et de religieux auprès des plus pauvres et des plus exploités. S’ensuivent un noviciat en Bretagne et une vie monastique et de travail à Jaffna (Sri Lanka) où il étudie le Tamoul et s’initie à l’hindouisme et au bouddhisme. A partir de 1960, les événements d’Algérie et son refus de participer à la guerre coloniale vont le contraindre à partager son temps entre activités professionnelles, académiques et militantes. A partir de 1966, il enseigne la philosophie et l’histoire en Suisse. De 1972 à 1974 : Enseignement (Algérie). De 2000 à 2007 : Missions pour le GREF (Groupement de Retraités Éducateurs sans Frontières) : Ukraine, Moldavie, Arménie, Haïti et Soudan avec en 2005 une période de trois mois en Palestine. Ce n’est que durant ces premières années de retraite qu’il rédige la plupart de ses livres.

Entretien réalisé par Communistes-Hebdo, le journal du PRC

Communistes-Hebdo.

Le titre de votre ouvrage – Palestine (1917-1949) Figures d’un Colonialisme de Remplacement – contraste avec ceux qui tout en condamnant le sort fait aux Palestiniens ne vont pas jusqu’à qualifier la nature particulière du sionisme. Pourriez-vous préciser ce que vous voulez signifier par ce choix ?

Jacques Pous

Ce titre qui met en avant l’idée de remplacement du peuple palestinien par une population colonisatrice juive peut paraître choquant, ce d’autant que ce terme a été utilisé en France lors des élections présidentielles par le candidat E. Zemmour pour signifier, selon lui, l’envahissement de la France par des populations issues du Maghreb et du Moyen-Orient. Cependant, cette idée reflète la réalité profonde d’un colonialisme que je n’ai pu définir que par «Colonialisme de Remplacement » car son objectif est de créer en Palestine un ÉTAT JUIF avec le moins de Palestiniens possible. Et c’est ce qu’il fait. Il considère que les Arabes sont des nomades qu’il faudrait renvoyer dans le désert, pour ne pas dire dans le néant pour ceux qui affirment que les Palestiniens n’existent pas. Si beaucoup d’auteurs universitaires ont décrit la réalité des exodes imposés aux Palestiniens et tout particulièrement la Nakba, aucun n’a repris ce concept de colonialisme de remplacement. La raison en est simple. Il est vrai que la pression exercée par Israël appuyée par tout l’Occident pour empêcher toute étude sérieuse d’affirmer le caractère intrinsèquement colonial du sionisme est redoutable pour celui qui serait traité d’antisémite et ne pourrait plus travailler en Israël. En fait, je n’ai rien inventé. Les faits sont là même si le nettoyage ethnique sur lequel beaucoup d’auteurs s’accordent n’est que la condition nécessaire à l’expulsion du peuple palestinien et son remplacement par une population juive pour laquelle la Palestine est Israël.

Pour les Palestiniens, la Nakba continue et les événements de ces dernières années sont dans la droite ligne de la Nakba de 1947 qui a vu l’expulsion de 800 000 palestiniens, la moitié de la population de l’époque et la destruction de centaines de villages.

La Nakba continue. La Nakba c’est en 1948-49 l’expulsion massive des Palestiniens de chez eux. La Nouvelle Nakba est celle des réfugiés de Gaza aujourd’hui et de leur remplacement par les sionistes. Cela se fera devant nos yeux, au nom d’une action soi-disant humanitaire. Si les Réfugiés de Gaza qui, à plus de 80%, ont déjà été chassés de leurs villes et de leurs villages, sont expulsés ou poussés vers l’Egypte, ils ne reviendront plus chez eux.

C’est cela le Colonialisme de Remplacement. Un colonialisme au cœur duquel existe structurellement une tentation génocidaire ne demandant qu’à s’exprimer, le plus souvent sous le masque d’actions humanitaires ou de défense des Droits Humains. Au risque de se tromper, il faut rendre publique cette possibilité de nettoyage ethnique par l’exil. La rendre publique est le moyen le plus efficace de la rendre difficile ou impossible. Nous savons tous que les Gazaouis qui seraient déportés vers l’Egypte ou ailleurs ne reviendraient plus. Et s’ils étaient les plus nombreux à quitter la bande de Gaza, elle pourrait alors être annexée par Israël.

L’objectif du sionisme est clair : Créer un État juif sans Palestiniens.

Depuis Theodor Herzl, depuis la Déclaration Balfour, l’Histoire de la Palestine le montre. L’adoption par la Knesset de la loi de juillet 2018, ethniciste et raciste légalise des mesures discriminatoires envers les Palestiniens et accorde à l’État-nation du peuple juif le droit de propriété exclusif sur la Terre de Palestine, permettant aujourd’hui de mettre aisément en œuvre une politique de remplacement devenue légale. Il suffira d’attendre que des circonstances politiques ou militaires favorables rendent possible la poursuite d’un processus d’expulsion et de remplacement jamais vraiment condamnée depuis des années par la communauté internationale.

Le colonialisme de remplacement pratiqué par le sionisme ne se limite d’ailleurs pas à un simple nettoyage ethnique propre à la plupart des colonialismes de peuplement (en Algérie, afin récupérer les meilleures terres, on pratiquait le cantonnement des tribus). Avec le colonialisme de remplacement, il s’agit d’une politique globale et existentielle dont le véritable et unique objectif est de créer un État juif sans ou avec le moins possible de Palestiniens.

Un concept universel et qui, en effet, peut s’appliquer au processus colonial américain.

J’ai d’ailleurs, dans un autre ouvrage que je considère comme mon meilleur livre (L’invention chrétienne du sionisme4), rédigé un long développement (pp., 164-178) sous-titré « Le miroir américain » au sujet duquel Rheinold Niebuhr affirmait tout simplement : « Nous sommes l’Israël américain de Dieu. » Ce développement était suivi d’un autre concernant le processus colonial et décoloniale du sud de l’Afrique où après avoir été la Terre Promise des Boers, l’Afrique du Sud deviendra la Terre Promise de nombreux Natives trop bien évangélisés pour lesquels le même récit biblique : « De l’Exode à la Conquête » sera la matrice d’une théologie de la décolonisation!

Steven Salaita (The Holy Land in Transit.Colonialism and the Quest for Canaan)5, le spécialiste du sujet et qui ne s’est jamais privé de critiquer Israël eut de nombreux problèmes avec une partie de l’Université américaine, avant d’en être chassé, pour avoir dévoilé que le plus important des génocides de l’histoire de l’humanité, celui des natives américains, s’inscrivait dans un récit biblique qu’il serait temps d’oublier !

On comprend alors que le terme d’Apartheid utilisé pour désigner la politique sioniste en Palestine ayant eu un magnifique succès médiatique concerne bien la politique coloniale menée en Afrique du Sud mais ne concerne que partiellement celle menée en Palestine. Souvent utilisé pour décrire la situation actuelle en Palestine, il ne concerne en effet qu’une étape dans l’histoire du colonialisme sioniste, débuté avec la politique du Mandat britannique alors que le travail réservé aux Juifs (Travail hébreu ou Avoda Irvat) créait une première forme de ségrégation que la société duelle politique, économique et sociale, voulue autant par les sionistes que par le pouvoir mandataire (diviser pour régner), ne fera que conforter. Le projet de remplacement n’a donc pas pour origine un complot, mais il pose plus qu’ailleurs la question d’un projet national qui n’a su se traduire qu’en projet colonial. Quant au processus tant idéologique que politique, économique et social qui, jusqu’à aujourd’hui, servira de modèle à la politique coloniale d’Israël, il s’est édifié durant les années 1917-1949 et la Nakba en constitue à la fois le point d’orgue et le paradigme tragique.

Aujourd’hui, pour la majorité des Israéliens (y penser toujours, n’en parler jamais), une nouvelle Nakba serait concevable : « On a tout essayé, alors … » Netanyahu et son équipe envisagent même une déportation et un génocide !  Quant à nous, les militants, nous devons être vigilants et ne pas prendre à la légère les menaces des plus radicaux. Il nous faut donc en parler toujours. Les Palestiniens, eux, se souviennent de la Nakba, ils résisteront, nous devrons alors les soutenir et tout faire pour empêcher l’inconcevable.

Communistes -Hebdo

Vous insistez à plusieurs reprises sur le fait que le sionisme est fortement corrélé aux idéologies nationales voire nationalistes du XIXéme siècle, dans un contexte où le colonialisme est la norme dans le développement capitaliste des États occidentaux. Faut-il chercher dans ce lien les éléments constitutifs du sionisme ?

Jacques Pous

Dans mon livre, L’invention chrétienne du sionisme, livre que je considère comme le plus important et le plus fondamental parmi ceux que j’ai écrits, j’explique que le sionisme chrétien a précédé le sionisme colonial. Il prend racine dans une partie de la pensée protestante. Pour aller vite, une partie des sionistes chrétiens croyaient que la deuxième venue du Christ avait comme préalable le retour des juifs en Palestine et leur conversion au christianisme. Une autre partie, dans laquelle on trouve Henry Dunant6, la conversion des juifs devait précéder le retour du Christ et celui des juifs en Palestine. C’est la période du sionisme chrétien que je situe de Calvin à Balfour pour souligner son origine religieuse protestante et, avec la Déclaration Balfour, sa dépendance à la politique coloniale et impérialiste de la Grande Bretagne et de l’Occident. C’est en effet la déclaration Balfour qui ouvre la perspective d’un foyer juif en Palestine qui se transformera très rapidement en exigence d’un État juif, d’abord sur une partie de la Palestine et enfin sur toute la Palestine appelée dorénavant Israël.

Vers 1840, le projet sioniste chrétien va être instrumentalisé par le projet colonial avant que, avec l’ouverture du canal de Suez, le colonialisme anglais, conscient de la nécessité vitale de protéger le canal de Suez comme voie de communication majeure d’accès aux Indes et à l’Asie, ne cache plus ses intérêts coloniaux envers la Palestine et le Proche-Orient. La coïncidence entre les intérêts nationaux du sionisme et coloniaux du Royaume-Uni renforcera dorénavant le caractère colonial du projet sioniste, celui d’une présence européenne juive garantissant d’abord les intérêts coloniaux de l’empire britannique et ensuite les intérêts stratégiques de l’impérialisme occidental.

Communistes-Hebdo.

La mise en place du pouvoir colonial en Palestine commence selon vous dans les années 1917-1923. En quoi est-il dépendant des stratégies impérialistes du Royaume-Uni et de la France ?

Jacques Pous

L’idée d’une Palestine sous tutelle coloniale capable de protéger les intérêts vitaux de l’Angleterre impérialiste est au cœur de la déclaration Balfour. De plus, en accordant un foyer juif en Palestine aux dirigeants sionistes, elle ouvre la voie à la colonisation du pays par le mouvement sioniste.

La France, également grande puissance coloniale, a d’autres objectifs. Napoléon III n’avait-il pas rêvé d’un Grand Royaume Arabe tant pour l’Algérie que pour le Proche-Orient qui serait favorable à la France ? La compétition entre la « «perfide Albion » et le pays, protecteur des Lieux Saints est alors inévitable. A la fin de la Première mondiale, l’Empire Ottoman, appartenant au camp des vaincus, sera dépecé comme l’avaient prévu les Accords Sikes-Picot et la Palestine reviendra finalement aux Anglais. Quant au mouvement sioniste et son leader Weizmann, ils ne pourront que se satisfaire du choix du pays qui avait promulgué la Déclaration Balfour et où le sionisme chrétien était très présent. Ils ne seront pas déçus même s’ils continueront à se plaindre. Le Mandat britannique permettra, en effet, au mouvement sioniste d’acquérir les institutions constitutives d’un pouvoir régalien prêt à prendre la place des Britanniques : les infrastructures politiques, économiques et militaires d’un État colonial alors que, beaucoup plus grave, la Grande Bretagne laissera s’accomplir la Nakba.

Communistes-Hebdo.

Vous concluez votre ouvrage en soulignant:  » Durant le mandat britannique, le sionisme a généré la matrice de son avenir.  » La violence de l’État colonial depuis le 7 octobre est souvent qualifiée de génocide. Selon vous :  » Les expulsions et le remplacement, aujourd’hui comme hier, continuent. La Nakba et la Résistance aussi. » Il est possible de lire cela comme l’annonce d’une défaite du peuple palestinien, mais aussi tel l’espoir de sa victoire pour ses droits légitimes. Qu’en pensez-vous ?

Jacques Pous

Je partirai de la période qui suit les accords d’Oslo. Ils ont créé l’illusion comme quoi la lutte pacifique, politique, diplomatique pouvait conduire à la création d’un État de Palestine. Ce fut une terrible et lourde erreur. La logique naturelle d’un colonialisme de remplacement, je dirais, son ADN est d’une logique implacable. Dans les faits, et tout le monde peut le constater, la colonisation a continué et les événements récents confirment que rien ne peut l’arrêter.

Il faut un degré de cynisme absolu pour venir aujourd’hui défendre l’idée de deux États. Ceux des dirigeants qui le font n’ont que l’objectif de se donner bonne conscience, tout en soutenant fermement le projet sioniste. Derrière leur rhétorique, il y a, et ils l’expriment, la volonté de désarmer complètement le peuple palestinien. Cette hypocrisie criminelle doit être dénoncée !

Il n’y aura pas de paix en Palestine sans la destruction de l’État colonial génocidaire. Pour conclure, je dirai, paraphrasant le Général de Gaulle : la Palestine de demain, quel que soit l’origine religieuse ou géographique de ses nouveaux Palestiniens, sera une Palestine palestinienne.

Oui, j’ai confiance. Mon expérience de militant anticolonial et anti-impérialiste me fait dire que rien n’arrêtera la lutte de libération nationale du peuple palestinien qui, comme les autres colonisés par les Grandes Puissances, sortira vainqueur d’une terrible guerre asymétrique qui sera peut être moins longue qu’on ne le pense.

 

Notes

*https://www.4acg.org/IMG/pdf/meg-2025-jacques-pous-henry-dunant.pdf?7060/7b48b354f731b3da1042827fc157d7773c941b1a32afbf30a447dba46838f72c

2 Jacques Pous, Palestine : Figures d’un Colonialisme de Remplacement , Ed. L’Harmattan, 2023

3 https://histoirecoloniale.net/jacques-pous-francais-deserteur-de-la-guerre-dalgerie-devoile-la-suisse-coloniale/

4 Jacques Pous, L’invention chrétienne du sionisme, de Calvin à Balfour, Ed. L’harmattan 2020

5 Steven Salaita, The Holy Land in Transit.Colonialism and the Quest for Canaan, 2006, Ed. Syracuse N.Y. ; Syracuse University Press.

6 Henry Dunant, https://www.universalis.fr/encyclopedie/henri-dunant/

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Source: https://www.sitecommunistes.org/index.php/monde/proche-et-moyen-orient/3507-une-interview-de-jacques-pous1-auteur-de-palestine-figures-dun-colonialisme-de-remplacement-a-propos-du-sionisme

URL de cet article: https://lherminerouge.fr/palestine-1917-1949-figures-dun-colonialisme-de-remplacement-un-livre-de-jacques-pous-ed-lharmattan-communistes-hebdo-4-08-25/

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