
Dans la Drôme, La France insoumise a mené une université d’été de bataille pour la rentrée. Municipales, Palestine, 10 septembre : les militants présents sont déterminés à combattre le programme d’austérité de François Bayrou.
Par Laure NOUALHAT .
Châteauneuf-sur-Isère, (Drôme)
Sous les platanes et la chaleur encore estivale, les Amfis 2025, université d’été de La France insoumise (LFI), ont déployé leurs tentes comme un petit village éphémère. Plus de 5 000 personnes, venues de toute la France, ont convergé vers les rives du lac d’Aiguille à Châteauneuf-sur-Isère, près de Valence, du 21 au 24 août. Sous les tentes bondées, dans les files d’attente pour manger, partout, des discussions sur le « budget de guerre de Bayrou », la Palestine, les municipales et la grève générale.
Pour le parti, la ligne est claire : Mélenchon l’a répété vendredi 22 août, lors de son « moment politique » : « C’est l’heure d’appuyer sur la mobilisation sociale pour élargir le front politique et bloquer le pays » contre la « purge sociale » du gouvernement Bayrou, accusé de « s’attaquer aux salaires, aux pensions, aux chômeurs, à la sécurité sociale », a-t-il déclaré.
« Financer la bifurcation écologique et sociale »
Inspiré, le coordinateur du mouvement, Manuel Bompard, a rebaptisé le Premier ministre « François l’embrouille », raillant son podcast vidéo et le jugeant « plus doué pour entuber que pour youtuber » devant une assemblée pliée en deux. Dans un pays où « 650 000 personnes ont basculé dans la pauvreté en 2023 », il a appelé à « créer l’argent nécessaire pour financer la bifurcation écologique et sociale, des investissements inédits depuis la Seconde Guerre mondiale ». L’insoumission revendique sa détermination : faire tomber Bayrou dans la rue, et préparer la relève dans les urnes.
« Les mobilisations de la rentrée se résument à une date : le 10 septembre », balance Gaëtan Lecoq, délégué CGT d’Arcelor Mittal au micro de la scène flottante. Cadres du parti et représentants syndicaux ont défilé sur la scène amarrée aux rives du plan d’eau bleu lagon pour rappeler l’urgence : « Il faut que ce soit une grève générale, sinon nous serons en dessous de tout », insiste Fabien Villedieu de Sud Rail, applaudi par des centaines de militants.
44 milliards d’économies au détriment des plus pauvres
L’ombre des déclarations de François Bayrou plane partout. Les 44 milliards d’euros d’économies annoncés affaiblissent le pouvoir d’achat des Français les plus vulnérables — 100 euros en moins pour les allocataires, 150 pour les adultes handicapés… Et ces sacrifices nourrissent la colère. « On ne comble pas un déficit en serrant la ceinture des pauvres, mais en récupérant l’argent des multinationales », proteste Élisabeth, professeure de physique-chimie en Isère, rencontrée en famille au détour de son fromage blanc aux fruits rouges. « Ils sucrent 5 milliards aux hôpitaux pour faire du profit, poursuit-elle. Leur théorie du ruissellement, ça ne marche pas, c’est la théorie de l’éponge, oui, ils absorbent tout. »
Grève perlée ? Grève générale ? « Et pourquoi pas une grève saute-mouton ? » tance un syndicaliste de l’éducation nationale. Si les stratégies ne font pas consensus, l’envie de bloquer le pays est là. L’enjeu dépasse le traditionnel agenda social. Pour Caroline Chevé, secrétaire générale de la FSU, il faut prendre le pouls des camarades, et faire « attention à l’état d’esprit réel des professions que l’on représente ». Côté LFI, il s’agit de fédérer « le peuple et la classe salariale » face à ce que Manuel Bompard a décrit en clôture dimanche 24 août comme « un pouvoir aux abois qui demande toujours trois fois plus d’efforts aux mêmes, tout en ménageant ses amis ultrariches ».
« On assiste à une explosion de la précarité étudiante »
Les syndicats étudiants seront de la partie, déterminés à sauver une université publique en lambeaux. « Avec 1,5 milliard de coupes budgétaires, les universités souffrent, 85 % d’entre elles sont en déficit. On assiste à une explosion de la précarité étudiante avec presque 20 % d’entre nous qui dépendons de la banque alimentaire. En tout cas, nous on se mobilisera pour que l’année blanche promise par Bayrou devienne une année rouge », scande Éloïse Lefebvre-Milon, cosecrétaire générale de l’Union étudiante.
Dans les files d’attente, une polémique bruisse également : le journaliste du Monde, Olivier Pérou, n’a pas été accrédité pour l’événement. En cause : son livre-enquête sur le mouvement, intitulée La Meute, coécrit avec Charlotte Belaïch de Libération. Réponse officielle transmise à l’AFP jeudi, de la députée Sarah Legrain : « On n’accepte pas une personne qui a écrit un livre dans lequel on est traité comme des animaux ou comme une secte. »
Réponse plus cash d’un bénévole — pourtant très sympa ! — préposé aux navettes pour la gare : « Si je viens chier devant ta porte, tu as le droit de ne pas m’inviter chez toi ! » Par solidarité, le journaliste de Libération a plié bagage et plusieurs rédactions ont dénoncé « une atteinte grave au droit d’informer ». « C’est un peu con que LFI ait fait ça, commente David Dufresne, harnaché de sa caméra, sur sa chaîne Au Poste. On ne parle que de ça alors qu’on a du pain sur la planche. »
Du pain sur la planche des municipales
Du pain sur la planche, il y en a pour rafler de nouvelles communes au nez et à la barbe des adversaires lors des municipales de 2026. Une large part du programme est consacrée à ces élections avec pas moins de onze conférences, une « boîte à outils » forte de 400 mesures et des débats nourris. Sous la tente Pauline Léon, la session consacrée au municipalisme déborde de militants accroupis.
« Les communes sont des champs de bataille, prévient Antoine Salles-Papou, responsable de l’école de formation de l’Institut Boétie. Autour de la gestion et du contrôle des réseaux (eau, déchets, transports…) mais aussi autour de la marchandisation de l’espace territorial, de la gentrification, la financiarisation de l’immobilier, etc. »
« La preuve d’une alternative concrète et la possibilité d’une révolution citoyenne »
La députée Nathalie Oziol rappelle que les futurs élus insoumis n’ont « pas vocation à devenir des petits gestionnaires du capitalisme ou à [se] transformer en bureaucrates territoriaux ». Le programme déplié doit devenir « une articulation entre la preuve d’une alternative concrète et la possibilité d’une révolution citoyenne », dit Salles-Papou, avant de conclure, sourire en coin : « Nous sommes, et nous resterons, des agents du chaos. » Applaudissements nourris.
Environ 300 binômes ont été désignés pour porter les couleurs insoumises et des groupes se constituent dans les deux tiers des communes de plus de 20 000 habitants. « Les municipales ne sont pas une parenthèse mais un avant-poste de la révolution citoyenne », a répété Manuel Bompard dimanche en clôture.
230 intervenants dont 70 chercheurs
« Je viens ici pour ne pas me sentir seul dans ce que je pense, dit Guy, descendu de Rillieux-la-pape (Rhône) avec sa compagne Josette. Certaines conférences m’aident pour désapprendre ce que je croyais acquis. » Entre bifurcation énergétique, guerre en Ukraine, extractivisme, projet Périclès du milliardaire Pierre-Édouard Stérin et enseignements de la condition animale dans les luttes féministes et antiracistes, plus 230 intervenants, dont 70 chercheurs, ont éclairé les lanternes des participants.
« Pour mettre un programme sur pied, on doit partir des besoins des gens en médecins, en profs, en fonctionnaires, en nourriture de qualité, avoir le sens de l’intérêt commun, renchérit Josette, particulièrement sensibilisée à l’écologie : « J’ai fêté mes 80 ans sans mon fils : il vit au Canada et ne veut plus prendre l’avion ! »
Les fils de la révolte
Le slogan « enfants de Gaza, enfants de Palestine, c’est l’humanité qu’on assassine » aura résonné plusieurs fois dans les assemblées… Difficile de ne pas remarquer les keffiehs, écharpes de ralliement constellées dans les foules. Ici on trinque au « Palestine Cola » et on achète teeshirts et totebags « Free Palestine », sérigraphiés à la chaîne par les gars de Smoggs. « On en fait à peu près 200 par jour », disent-ils, le nez dans leur machine.
Sous la bannière de « l’Union popu’laine », des filles crochètent la révolte des pastèques en porte-clefs et boucles d’oreille. Là aussi, prix libre. Avec « 1 300 euros récoltés pour l’association France Palestine Solidarité », elles sont « super contentes ». Les militants de l’AFPS ont l’œil brillant de « voir une jeunesse déterminée à prendre la relève » Nathalie, militante à la chevelure flamboyante s’approche : « C’est génial ! Vous saviez que les premières femmes révolutionnaires s’appelaient des tricoteuses ! » Aux Amfis 2025, on a senti le fil rouge de la révolte.
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Source: https://reporterre.net/10-septembre-austerite-La-France-insoumise-se-prepare-a-une-rentree-de-luttes
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