Retour des marches climat : «C’est un refus de la résignation» (Reporterre-27/09/25)

Lors de la marche climat du 13 octobre 2018 à Marseille. – © Marion Esnaut / Reporterre

Inutiles, les marches pour le climat ? Pas pour les chercheurs auteurs du livre « Greenbacklash — Qui veut la peau de l’écologie ? ». Pour eux, « l’espoir est un impératif moral » et ils saluent la convergence des luttes.

Laure Teulières, Steve Hagimont et Jean-Michel Hupé sont chercheurs à Toulouse et membres de l’Atécopol (L’Atelier d’écologie politique). Depuis 2018, ce collectif s’attelle à construire une communauté pluridisciplinaire de scientifiques réfléchissant aux bouleversements écologiques. Ces trois chercheurs ont coordonné le livre Greenbacklash — Qui veut la peau de l’écologie ? à paraître le 10 octobre au Seuil.

Par Gaspard d’ALLENS.

Reporterre — Le 28 septembre, de nouvelles marches climat vont se dérouler en France pour réclamer plus de justice sociale et environnementale, que faut-il attendre de ces manifestations dans le contexte actuel ?

Laure Teulières, Steve Hagimont, Jean-Michel Hupé — C’est une action qui s’inscrit dans une série de mobilisations partout dans le mondesous l’impulsion de peuples autochtones à l’approche de la COP30 : « Fixons les limites, sauvons le climat ! »

On comprend très bien que l’on puisse éprouver de la lassitude. C’est encore une autre manifestation qui n’aura évidemment pas d’effet immédiat sur une politique gouvernementale qui méprise les mouvements sociaux depuis des années, qui plus est dans un contexte de régression très forte, un backlash [retour de bâton], sur les questions écologiques.

Cette marche est d’autant plus importante dans ce contexte : c’est le refus de la résignation. La dimension internationale, la mise en avant des limites et l’origine autochtone de l’appel en font une initiative prometteuse. Une marche est une interpellation symbolique, un rappel vital que les questions écologiques doivent être portées plus largement.

Il est aussi remarquable que la fausse alternative « fin du monde, fin du mois » semble bien dépassée, avec les liens fortement exprimés avec Gaza, l’antifascisme et le mouvement social en cours — les syndicats parlant désormais de transition écologique en première place de leur discours.

Lire aussi : L’antiracisme au cœur des nouvelles marches pour le climat

Comment expliquer le backlash en cours ? Qu’est-ce qui a cassé l’élan des marches climat de 2019 ?

C’est le Covid qui a cassé la dynamique des marches climat de 2019, en empêchant les gens de se réunir et de se mobiliser. L’élan écologique s’est prolongé un peu d’une autre façon, avec les discussions autour des travailleuses et travailleurs essentiels : repartir des besoins fondamentaux, de ce à quoi l’on tient vraiment est la base pour transformer le modèle socioéconomique. Et la démonstration était faite qu’on pouvait « arrêter l’économie » ! C’est le « retour à la normale » qui a fini de casser l’élan des marches climat.

Le backlash antiécologique actuel a plusieurs ressorts. C’est l’aboutissement de dynamiques historiques de fond : par exemple, les logiques matérielles de production industrielle, de commerce mondial et d’adaptation à la compétition internationale, soutenues par quasi tous les gouvernements en place, sont incompatibles avec la sortie des énergies fossiles et la réduction nécessaire de la production et de la consommation.

Après des années de greenwashing, de discours politiques et économiques prétendant à l’écologisation de la société tout en continuant le business as usual, il semble que les masques tombent.

Dix ans après l’Accord de Paris qui actait la volonté mondiale de réduire chaque année davantage les émissions de gaz à effet de serre, celles-ci continuent globalement à augmenter. Car leur diminution à la hauteur des enjeux nécessite de remettre en cause des pouvoirs, des dominations et des hiérarchies très puissantes, portées par des acteurs prêts à tout pour garder leur place, quitte à sacrifier une grande partie de l’humanité et des écosystèmes.

En France, la non-application des propositions de la Convention citoyenne pour le climat était un signe flagrant de refus de tout changement significatif, ainsi qu’un déni de démocratie.

Déni et manque d’intérêt des décideurs, fascisation en cours, dénigrement de la science, trumpisation des esprits… Marcher pour le climat a-t-il encore du sens ?

Contre de tels ennemis, contre ces forces en guerre contre toute écologisation menaçant leurs intérêts, cela peut paraitre dérisoire. Néanmoins, dans des luttes au long court, c’est une richesse que d’avoir un répertoire d’actions diversifié, pour que chacun puisse trouver sa place, et que la large communauté qui s’inquiète de l’inaction climatique puisse trouver des espaces communs de rencontre.

« N’hésitons pas à célébrer celles et ceux qui essaient »

Aucune lutte n’a de chance de succès si elle n’est collective. Il faut bien se connaître et se reconnaître : marcher pour le climat en est un moyen. Personne ne pense que c’est suffisant, bien sûr, mais c’est important.

Ne faudrait-il pas imaginer d’autres manières d’agir et interpeller la société ?

Il existe déjà une effervescence de modes d’action et d’interpellation ! Extinction Rebellion, [le mouvement de désobéissance civile allemand] Ende Gelände, Les Soulèvements de la Terre… Ou même plus modestement dans notre milieu académique, Scientifiques en rébellion, les Atécopols, et même Labos 1point5 et l’engagement des universitaires dans la formation des étudiantes et étudiants aux enjeux écologiques !

Tous ces mouvements font travailler leur imagination, expérimentent et sont prêts à changer de stratégie face à des échecs. Rien n’est la hauteur des enjeux actuels, qui dépassent notre capacité même d’imagination, pour paraphraser Günther Anders [1]. Mais n’hésitons pas à célébrer celles et ceux qui essaient et à multiplier les moments d’indignation, de joie, d’échange et de rencontre.

La répression du mouvement écologiste se durcit. Encore le 20 septembre, plus de 900 gendarmes ont tiré des grenades lacrymogènes et désencerclantes sur les antinucléaires à Bure. Les autorités tentent de cantonner les écologistes à la sidération et l’impuissance : comment en sortir  ?

La réponse est dans votre question : refuser la sidération, lutter contre le sentiment d’impuissance en rejoignant des actions collectives. En adaptant les pratiques, aussi : il s’agit de se protéger. Les marches climat restent des lieux autorisés de rassemblement et de pratique joyeuse et familiale. Il est important de garder cet espace préservé des violences policières comme lieu de rencontre et d’empuissantement.

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Contrairement à 2019 où les marches climat semblaient plus ou moins en phase avec la volonté gouvernementale, dans la continuation du consensus de l’Accord de Paris, on peut s’attendre, encore une fois, à ce que le gouvernement cherche la confrontation et à criminaliser les marches.

Comment les marches du 28 septembre pourraient-elles être plus subversives, plus populaires ?

La question dépasse bien sûr nos compétences, nous ne connaissons pas de formule scientifique pour faire que tout cela advienne. On voit s’affirmer une convergence entre la marche climat et le mouvement social pour une revendication transformative d’un nouveau modèle social et productif. Ceci en tenant compte des limites planétaires — y compris en intégrant nos consommations importées — et des moyens les plus justes pour y parvenir en intégrant pleinement les enjeux décoloniaux par exemple.

Ces rapprochements sont en cours, mais sans doute pas encore assez visibles ni systématisés. Il s’agit moins d’élargir le public des marches climat que d’élargir les liens et les moyens d’interpellation, d’implication et d’action parce que ces enjeux touchent déjà tout le monde, et qu’il faut choisir la façon d’y faire face dans le futur.

Il y a toujours un risque à ce que la « convergence des luttes » tende à dissoudre et égaliser chaque revendication, mais la question environnementale, systémique et englobante, peut être le trait d’union entre une diversité de luttes. Une sorte de matrice commune dans laquelle penser un avenir désirable et situer tous les combats soucieux de la dignité humaine et de la beauté du monde — des valeurs menacées de toutes parts.

Quelles sont les mutations qui vous donnent de l’espoir et qui seraient capables d’enclencher des transformations sociales et écologiques au sein de la société ?

L’espoir est un impératif moral quand bien même tout nous rendrait pessimiste. Car l’enjeu est la survie d’une humanité digne de ce nom. Le rapport de force semble très défavorable avec l’arrivée au pouvoir partout dans le monde de régimes de plus en plus autoritaires voire fascisants, au service d’une toute petite minorité. Ils ont à disposition des technologies de plus en plus puissantes à la fois de contrôle, de manipulation et de destruction.

Et même si beaucoup trop de monde soutient cette minorité en dépit de son intérêt (que l’on pense aux électrices et électeurs de Trump), en France, au moins, nous semblons moins naïfs, si l’on suit le sondage publié le 24 septembre par Odoxa pour Ici (Radio France). 9 Français sur 10 constatent le réchauffement climatique et s’en inquiètent, beaucoup sont prêts à changer certains aspects de leur mode de vie, mais seulement 15 % font confiance à l’État pour les protéger des conséquences du changement climatique.

Cela fait écho au sursaut de mobilisation citoyenne lors de la pétition contre la loi Duplomb. Il a démontré un immense ras-le-bol contre la façon déplorable dont une partie de la classe politique instrumentalise les questions écologiques, appuie les intérêts de lobbies et rabaisse le débat en maltraitant des sujets aussi cruciaux que l’agriculture, la santé environnementale, les effets des pesticides, etc.

Greenbacklash — Qui veut la peau de l’écologie ?, de Laure Teulières, Steve Hagimont et Jean-Michel Hupé, aux éditions Seuil, octobre 2025, 320 p., 23 euros.

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Source: https://reporterre.net/Retour-des-marches-climat-C-est-un-refus-de-la-resignation

URL de cet article: https://lherminerouge.fr/retour-des-marches-climat-cest-un-refus-de-la-resignation-reporterre-27-09-25/

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