Sandrine Rousseau : «Nous vivons dans une dystopie, la gauche devrait être le remède» (Reporterre-7/10/25)

Sandrine Rousseau en avril 2022 à Paris. – © Mathieu Génon / Reporterre

Alors que la gauche peine à trouver une ligne commune, la députée écologiste Sandrine Rousseau appelle à renouer avec l’esprit du Nouveau Front populaire et à remettre la justice et l’écologie au cœur du projet collectif.

Après la démission du Premier ministe Sébastien Lecornu et la perspective d’une éventuelle dissolution, la gauche peine à se réaccorder. Sandrine Rousseau appelle à faire bloc. La députée écologiste de la 9e circonscription de Paris plaide pour une union fidèle au programme du Nouveau Front populaire (NFP). Elle y voit l’unique chemin possible pour répondre à « un cri puissant » du peuple de gauche, et pour opposer un projet de société solidaire et écologiste à la montée du bloc autoritaire.

Par Alexandre-Reza KOKABI.

Reporterre — Comment vivez-vous cette séquence politique ?

Sandrine Rousseau — Très mal. Parce qu’elle intervient à un moment où le pays traverse une crise profonde. Le tissu associatif se délite faute de subventions, les collectivités territoriales manquent de moyens, les faillites d’entreprises se multiplient, ainsi que les plans sociaux. Pendant ce temps, j’ai le sentiment que le monde politique tourne sur lui-même, comme un poisson rouge dans son bocal, sans jamais répondre aux problèmes réels des gens.

Ce décalage est d’autant plus insupportable qu’on vient de dépasser la septième limite planétaire, sans qu’un mot n’ait été prononcé à ce sujet. J’ai parfois l’impression de vivre dans une dystopie. Dans cette dystopie, la gauche devrait être le remède, le débouché politique à toutes ces urgences sociales, écologiques et démocratiques.


La gauche est-elle en voie de s’unir de nouveau, comme après la dissolution de juin 2024 ?

Sur le papier, oui. À l’Assemblée, nous votons ensemble dans près de 90 % des cas. Nous avons uni nos voix pour les vice-présidences la semaine dernière, et tout le monde s’est retrouvé dans la même salle. Et puis, soudainement, quand on a le plus besoin de nous, des « dramas » éclatent. On se regarde entre nous, on ressasse des rancunes, comme si la politique était une affaire d’humeur. J’ai parfois l’impression d’être dans Les Feux de l’amour — et ça ne m’intéresse pas.

Et du côté des écologistes, il faut qu’on cesse de changer de position d’un jour à l’autre, voire dans la même journée. Ce matin encore, après la rencontre avec La France insoumise (LFI), un communiqué affirmait notre attachement au programme du NFP et à l’union. Quelques heures plus tard, un autre texte laisse entendre que nous sommes prêts à gouverner sans LFI.

La question, c’est : où sommes-nous, et que voulons-nous vraiment ? Pour moi, c’est simple : nous avons un mandat clair, donné par les électeurs il y a un an sur la base du programme du NFP. Ce mandat, nous devons le respecter et avancer avec, sans nous renier.


Pourquoi, selon vous, la gauche n’arrive-t-elle pas à s’entendre ?

C’est une question de présidentielle. La présidentielle pourrit tout, elle corrompt tout dans la vie politique française — et d’abord l’intérêt général. Chacun pense déjà à son calendrier, à son agenda, à 2027.

Nous sommes pourtant à un moment charnière. Et je suis convaincue qu’il existe un manque de gauche et d’écologie pour le peuple français. Il y a un cri puissant des citoyens, qui ne parvient pas toujours jusqu’à nos oreilles, mais qui dit : « On veut la gauche, on la veut vraiment. » Pas par défaut, pas simplement pour faire barrage à l’extrême droite. Mais parce que le programme de la gauche et de l’écologie répond aux besoins concrets du pays et aux défis du siècle.


Qu’est-ce qui rend les écologistes particulièrement légitimes pour retisser le lien entre des forces parfois irréconciliables, comme LFI et le Parti socialiste ?

Nous sommes dans une position pivot. Nous devons l’utiliser à bon escient. J’ai le sentiment que mon parti donne un coup de barre d’un côté, puis de l’autre, sans jamais suivre une ligne claire. Cette ligne, elle existe pourtant : c’est celle du Nouveau Front populaire. Le NFP, et rien que le NFP. C’est ce cap qu’il faut tenir, sans calcul.

On a déjà la méthode. On a le programme. Je pense que les gens ont envie de stabilité, de sérénité, d’être rassurés sur le fait que la gauche est là et constante. Et moi, j’ai envie de leur dire : nous sommes là, avec un programme de rupture. C’est-à-dire que ce ne sera pas comme avant. Y compris dans les réformes de la démocratie, pour que les gens soient mieux représentés.

« Le cap : le NFP, et rien que le NFP »

Le but, aujourd’hui, c’est de donner de l’espoir. C’est de faire relever la tête aux gens, de leur redonner de la dignité dans leur vie, de les sortir du mépris d’une machine qui les écrase. De retrouver l’espoir de lendemains meilleurs. Et surtout, de retrouver le sens du collectif.


Sur quels points programmatiques concrets les forces de gauche pourraient-elles se retrouver facilement ?

Sur la justice et l’égalité. La justice est évidemment fiscale, mais se traduit aussi dans la manière dont on est soigné. Les enfants de riches ne doivent pas avoir un meilleur traitement que ceux de familles modestes. La justice, c’est aussi penser la transformation écologique en fonction des capacités de chacun à y contribuer. C’est refuser les répressions autoritaires contre les mouvements sociaux — comme celle subie par les militants des Soulèvements de la Terre quand ils ont été cueillis chez eux à 6 heures du matin et enfermés sous terre dans les locaux de l’antiterrorisme —, et leur préférer l’écoute et le respect.

L’égalité, c’est faire en sorte que, quel que soit son milieu social, son métier, son âge, son état de santé, sa couleur de peau ou son genre, tout le monde soit traité exactement de la même manière. C’est ça, le projet républicain français — et c’est ça qu’on doit réactiver.


Avec l’écologie comme ciment ?

Oui, l’écologie doit être le ciment. Elle doit être réparatrice, protectrice, comme quelque chose qu’on met autour de nous pour nous protéger. Aujourd’hui, avec le projet de Macron, c’est comme si l’on avait une annonce d’ouragan force 10 et qu’il nous disait de laisser les fenêtres et les portes ouvertes. On sait bien que ce n’est pas le bon chemin. L’écologie, c’est se protéger — se donner collectivement les moyens d’affronter le dérèglement climatique et de réduire, ensemble et de manière juste, nos émissions de carbone.

Après-guerre, le projet collectif de la France, c’était la croissance. Aujourd’hui, il doit être l’écologie.


Dans cette période où le dégagisme menace toutes les formations politiques, comment éviter que la gauche soit emportée elle aussi ?

Il faut d’abord comprendre pourquoi on est dans un dégagisme aujourd’hui. La dernière revendication des Gilets jaunes, quand tout a été étouffé de ce mouvement pourtant vital — parce que c’était un mouvement de vie, de gens qui n’arrivaient pas à vivre et qui demandaient à vivre —, c’était le référendum d’initiative citoyenne, le RIC.

Cela leur a été refusé. Il y a eu plusieurs tentatives de le mettre à l’agenda de l’Assemblée nationale, plusieurs tentatives de l’imposer par référendum, et tout cela a été étouffé par Macron et ses députés.

J’ai le sentiment que la défiance qu’il y a autour du monde politique vient du fait que les tentatives d’avoir une démocratie populaire, un regard direct des citoyens sur leurs élus, ont été foulées aux pieds par Emmanuel Macron. Et il l’a fait, comme à chaque fois, avec arrogance, avec une touche d’humiliation.

Ce sentiment d’humiliation se transforme, ressort forcément à un moment ou à un autre. Je pense qu’il ressort aujourd’hui.


On vous sent très déçue que les personnes issues de votre famille politique n’arrivent pas, face à Emmanuel Macron, face au danger de l’extrême droite, à faire la part des choses…

On est dans Game of Thrones : à la fin, winter is coming [l’hiver arrive]. Et on est dans ce moment-là. C’est-à-dire que là, il faut aller au nord, il faut aller au mur, il faut affronter la montée du fascisme. Et c’est maintenant.

Si on est député ou militant de gauche, c’est maintenant. Pas demain, pas après-demain. Et pour ça, il ne faut pas être dans un combat pour la respectabilité par rapport à telle ou telle famille politique de gauche. Parce que la question, c’est la lutte contre le fascisme. C’est notre capacité à changer les choses, notre volonté, notre ambition.

« La question, c’est la lutte contre le fascisme »

La société est prête. L’autoritarisme de Macron, l’autoritarisme du camp d’extrême droite, ce n’est que la réponse au fait que le projet de croissance productiviste n’a plus de sens dans la population.

C’est parce que la population française veut de l’écologie, veut de la justice, veut de l’égalité, veut des services publics, qu’en face, la réponse est devenue aussi agressive, aussi violente — quitte à faire s’effondrer notre démocratie. Parce qu’on ne comprend plus pourquoi on va vers cette société de production, de consommation, de croissance actuelle.

Les gens aspirent aujourd’hui à du mieux-être. Et si les politiques au pouvoir sont aussi agressifs, c’est qu’il n’y a plus d’adhésion au modèle qu’ils proposent. Alors ils l’imposent par la force et l’autoritarisme. Mais nous, en face, on a la solidarité, la créativité, la joie et l’enthousiasme. Et c’est ça qu’il faut qu’on fasse vivre.

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Source: https://reporterre.net/Sandrine-Rousseau-Nous-vivons-dans-une-dystopie-la-gauche-devrait-etre-le-remede

URL de cet article: https://lherminerouge.fr/sandrine-rousseau-nous-vivons-dans-une-dystopie-la-gauche-devrait-etre-le-remede-reporterre-7-10-25/

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