
Par Elias PESCHIER.
La France de Macron n’est pas loin des États-Unis ou du Royaume-Uni, parmi les pays riches où les inégalités sont les plus fortes avant redistribution. Le nouveau rapport 2025 de l’Observatoire des inégalités dresse un constat implacable : la France de Macron reste profondément fracturée. Des millions de personnes vivent dans la précarité, dans un logement insalubre ou sans accès aux soins. Les écarts de patrimoine explosent, les discriminations minent le marché du travail, et les services publics s’effondrent.
Derrière ces fractures, il n’y a ni hasard ni fatalité : il y a des choix. Des choix politiques, fiscaux, économiques, budgétaires. Suppression de l’Impôt sur la Fortune, instauration de la flat tax sur les revenus du capital, suppression de l’exit tax… Sous Macron, la fortune des 500 plus riches du pays a doublé, passant de 500 milliards d’euros à 1 170 milliards d’euros. Face à ce constat, une vérité s’impose : l’injustice est une construction. Elle peut donc être déconstruite. Notre article.
Une société fracturée : les inégalités sous toutes leurs formes
Le rapport 2025 de l’Observatoire des inégalités dresse un constat sans appel : la société française est profondément inégalitaire. Les écarts de niveau de vie, de conditions de travail, d’accès au logement, à la culture, à la santé, à l’éducation et à un environnement sain ne cessent de se creuser.
La moitié de la population vit avec moins de 2 028 euros par mois. Il y a plus de 9 millions vivant sous le seuil de pauvretédans l’Hexagone, soit 14,4 % de la population. Les 10 % les plus riches accaparent 24 % des revenus, quand les 10 % les plus pauvres n’en perçoivent que 3 %. L’indice de Gini, qui mesure les inégalités de revenus (0 pour une égalité parfaite, 1 pour une inégalité totale), est passé de 0,277 à 0,294 entre 2002 et 2022.
Mais c’est dans la répartition du patrimoine que la fracture est la plus brutale : les 10 % les plus fortunés détiennent à eux seuls 47,1 % des richesses nationales contre 41,3 % en 2010. Leur richesse est en moyenne 163 fois supérieure à celle des 10 % les moins dotés. Le poids des 500 plus grandes fortunes a explosé : de 124 milliards d’euros en 2003, elles atteignent désormais 1 170 milliards d’euros en 2023, soit +844 % en vingt ans.
Ces inégalités de niveau de vie sont largement liées aux écarts de salaires.
Les 10 % les mieux rémunérés gagnent 2,8 fois plus que les 10 % les moins bien payés. En moyenne, un cadre supérieur perçoit 2 600 euros de plus par mois qu’un employé. L’origine sociale reste déterminante : à sexe, lieu de vie et origine migratoire équivalents, un adulte issu d’un milieu défavorisé gagne en moyenne 1 000 euros de moins par mois que celui dont les parents étaient favorisés.
Au travail, la fracture est tout aussi criante. La pénibilité touche massivement les ouvriers : 61 % des ouvriers qualifiés et 69 % des non qualifiés déclarent subir au moins trois contraintes physiques (charges lourdes, postures pénibles, vibrations), contre seulement 7 % des cadres. En 2019, 40,5 % des salariés portaient des charges lourdes, contre 37,6 % en 1998. Les secousses et vibrations touchent désormais 17,4 % des travailleurs, contre 13,2 % auparavant. La pénibilité ne diminue pas : elle s’aggrave. Résultat : les ouvriers ont cinq fois plus d’accidents du travail que les cadres supérieurs.
Les horaires désynchronisés renforcent cette violence sociale : 12 % des ouvriers travaillent la nuit, contre 1 % des cadres. Et la précarité s’installe comme norme : en 2023, 16 % des salariés sont en contrat précaire (CDD, intérim, apprentissage), contre 12,8 % en 2003. Le « mal-emploi » touche 8 millions de personnes. Les jeunes sont en première ligne : 56 % des moins de 25 ans occupent un emploi précaire.
Les discriminations structurelles pèsent également sur les immigrés. Ils sont souvent plus jeunes, moins diplômés, et subissent davantage le chômage (11,2 % contre 6,5 % pour les personnes sans ascendance migratoire). S’ajoutent des discriminations de la part d’employeurs et l’interdiction pour les étrangers non européens d’exercer de nombreux emplois.
Les femmes, elles, sont surreprésentées dans les emplois non qualifiés (61 %) et sous-représentées parmi les cadres (45 %), malgré un taux de chômage global similaire à celui des hommes. Le logement concentre lui aussi les inégalités. 2,2 millions de personnes vivent dans un habitat dégradé, plus d’un million dans un logement trop petit, et 350 000 dans des centres d’hébergement ou des hôtels sociaux. En tout, plus de 4 millions de personnes sont mal-logées.
Et cette précarité matérielle se double d’un écart profond dans les modes de vie : 87 % des cadres font du sport (contre 57 % des ouvriers) ; 62 % d’entre eux ont visité un musée dans l’année, contre seulement 18 % des salariés modestes.
La fracture est aussi écologique. 65 % des ouvriers respirent des fumées ou des poussières au travail, contre 9 % des cadres. La moitié manipule des produits toxiques, et 31 % subissent un environnement sonore bruyant. Chez eux, les plus pauvres souffrent davantage du froid l’hiver, de la chaleur l’été, de l’humidité, du bruit. L’air qu’ils respirent est plus pollué, avec des effets sanitaires graves : les bébés issus de familles pauvres ont deux fois plus de risques d’être hospitalisés pour bronchiolite.
Pire : les plus riches, eux, polluent bien davantage. Les 10 % les plus aisés émettent en moyenne trois fois plus de gaz à effet de serre que les 10 % les plus modestes. Selon Nature Climate Change, ils sont responsables des deux tiers du réchauffement climatique depuis 1990. Si tout le monde vivait à leur niveau d’émissions, la température aurait augmenté de 2,9 °C entre 1990 et 2020.
Enfin, l’école ne joue plus son rôle d’ascenseur social. Dès la maternelle, les enfants de cadres obtiennent des scores bien supérieurs à ceux des enfants d’ouvriers. À l’entrée au lycée, leurs parcours divergent : 6,5 fois plus d’enfants d’ouvriers sont orientés en CAP que les enfants de cadres. Dans le supérieur, l’écart est vertigineux : 73 % des enfants de cadres y accèdent, contre 41 % des enfants d’ouvriers. Ces derniers sont quatre fois moins nombreux à l’université. Et l’égalité femmes-hommes peine aussi : au rythme actuel, il faudrait encore 70 ans pour atteindre la parité dans les écoles d’ingénieurs. L’école ne corrige pas les inégalités d’origine : elle les reproduit, voire les renforce.
Pour aller plus loin : Dette publique – Un vieux chantage pour mieux saboter l’État social

L’injustice n’est pas une fatalité : elle est le fruit de choix politiques
Les inégalités qui minent la société française ne sont pas naturelles : elles sont le produit de choix politiques. Depuis les années 1980, les gouvernements successifs ont opéré un transfert massif de la charge fiscale. Tandis que les impôts progressifs, sur le revenu, le capital ou les sociétés, ont été allégés, les taxes à la consommation, comme la TVA, ont été renforcées, frappant de plein fouet les classes populaires.
La suppression de l’ISF, la mise en place de la flat tax, la baisse de l’impôt sur les sociétés à 25 %, ont permis aux plus riches de s’enrichir davantage. Près de 60 milliards de recettes fiscales sont perdues chaque année du fait des politiques d’Emmanuel Macron. Sans effet notable sur l’investissement ou la croissance. Le ruissellement promis n’a pas eu lieu : l’argent s’est concentré en haut.
En 2023, l’Insee a révélé que les mesures socio-fiscales ont amplifié les inégalités : en moyenne, 300 euros ont été retirés aux plus pauvres, pendant que 300 euros supplémentaires étaient octroyés aux plus riches. La fin de certaines aides exceptionnelles (minima sociaux revalorisés, indemnité inflation) a frappé les foyers modestes, pendant que la suppression définitive de la taxe d’habitation profitait aux ménages les plus aisés.
Cette politique s’accompagne d’un soutien massif au capital. Selon l’économiste Anne-Laure Delatte, les entreprises bénéficient chaque année de près de 200 milliards d’euros d’aides publiques, soit davantage que l’ensemble du budget de l’Éducation nationale ou de la protection sociale. Les transferts en capital ont triplé depuis 2000, atteignant 120,9 milliards d’euros en 2022. À l’inverse, les dépenses pour les services publics stagnent depuis 2008 autour de 37 % du total des dépenses publiques, malgré les besoins croissants liés au vieillissement et à la bifurcation écologique.
Le CICE est emblématique de cette logique : entre 2013 et 2015, il a coûté 47 milliards d’euros par an pour créer ou maintenir 100 000 à 200 000 emplois. Soit 435 000 euros par emploi, contre 48 000 euros pour un emploi public. Trois fois moins efficace, trois fois plus coûteux.
Les conséquences de cette politique sont visibles partout. Dans l’éducation, 80 000 postes d’enseignants ont été supprimés entre 2007 et 2012 (Cour des comptes). Le gel du point d’indice entre 2010 et 2022 a entraîné une perte massive de pouvoir d’achat. Les enseignants français demeurent parmi les plus mal rémunérés d’Europe : en primaire, un professeur perçoit 45 320 dollars/an contre 48 023 dollars/an en moyenne dans l’OCDE.
En début de carrière au collège, un professeur français gagne 37 720 dollars/an, contre 49 905 en Espagne et 77 905 en Allemagne (L’Humanité). Entre 2015 et 2021, la dépense par élève n’a augmenté que de 1,8 % dans le primaire, et de 0,1 % dans le secondaire, contre respectivement 2,4 % et 1,8 % en moyenne dans l’OCDE (OCDE, 2024).
Dans la santé, la situation est tout aussi alarmante. 100 000 lits d’hôpital ont été supprimés depuis 2000 (DREES). À l’été 2023, 163 services d’urgence ont fermé partiellement ou totalement (Samu-Urgences de France). Le personnel soignant a reculé de 1,3 % entre fin 2021 et fin 2022 (DREES). Près d’une infirmière sur deux quitte l’hôpital ou change de métier après dix ans de carrière. Le ratio moyen est de 1 soignant pour 10 à 15 patients, quand les normes internationales recommandent 6 à 8. Par ailleurs, 5,7 millions de Français manquent d’un médecin généraliste, et on estime à 30 % le manque de médecins hospitaliers.
La « grande cause » du quinquennat Macron devait être la lutte contre le sans-abrisme. Mais aucun plan structurel n’a été mis en œuvre. Résultat : plus de 350 000 personnes sont toujours sans domicile. En parallèle, la construction de logements sociaux est passée de 125 000 en 2016 à moins de 95 000 en 2023 (la Fondation pour le logement des défavorisés [ex-Fondation Abbé Pierre]).
Le monde du travail n’a pas été épargné par cette orientation néolibérale. La loi El Khomri, les ordonnances Macron, et les réformes de l’assurance chômage ont affaibli les protections, généralisé les contrats courts, et instauré des droits sous condition. En parallèle, les revenus du capital ont explosé (+20 % en deux ans), tandis que les salaires ont perdu 3 % de pouvoir d’achat. Et pour 2024-2025, les prévisions annoncent une hausse limitée à 0,5 % : insuffisante pour rattraper les pertes passées.
Et demain ? Le projet budgétaire du gouvernement pour 2025 prévoit entre 40 et 50 milliards d’euros de coupes : recul de l’âge de la retraite, baisse des aides aux collectivités, aux politiques de l’emploi, et à la Sécurité sociale. En clair : un choix d’austérité qui, une fois encore, frappera les plus fragiles.
Cette politique n’est pas neutre. Elle est au service d’un projet de société : affaiblir l’État, déléguer ses missions au marché, et maintenir les privilèges d’une minorité au sommet. Le résultat : une société où les inégalités ne cessent de croître, et où l’injustice est institutionnalisée.
L’alternative existe : pour une société de l’égalité et de la dignité
Les inégalités ne sont pas une fatalité. Elles résultent de choix politiques et elles peuvent être corrigées par d’autres choix, plus justes, plus humains, plus efficaces. C’est le cœur du projet porté par l’Avenir en commun, le programme des insoumis. Un projet qui part d’une idée simple : il faut partager la richesse, et non la concentrer.
Première urgence : la revalorisation du travail. Il s’agit de porter le SMIC à 1 600 euros nets, de garantir l’indexation des salaires sur l’inflation, et de plafonner les écarts de rémunération dans les entreprises de 1 à 20. Personne ne devrait gagner en un mois ce qu’un autre met dix ans à toucher. Il faut aussi créer une garantie d’autonomie à hauteur de 1 216 euros par mois, pour permettre à chacun·e de vivre dignement, ainsi qu’une garantie d’emploi pour éradiquer le chômage de masse. L’accès aux biens essentiels (eau, électricité, gaz) doit être gratuit pour les quantités vitales. De même, les cantines scolaires, les crèches publiques et les soins prescrits doivent être gratuits.
Deuxième urgence : la justice fiscale. Cela passe par le rétablissement de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF), une réforme de l’impôt sur le revenu en 14 tranches plus progressives, la suppression des niches fiscales injustes, un impôt universel pour les exilés fiscaux, un plafonnement des héritages, une baisse de la TVA sur les produits de base, et l’instauration d’une TVA de luxe sur les produits superflus. La taxe Zucman, seulement 2 % sur les patrimoines les plus élevés, toucherait 147 milliardaires dont la fortune croît entre 5 % et 7 % par an. Une mesure minimale, mais juste.
Troisième urgence : reconstruire l’État social. Cela suppose d’investir massivement dans le logement (200 000 logements publics construits par an), la rénovation énergétique (700 000 par an), la santé (réouverture des hôpitaux et services d’urgence), l’école (réduction du nombre d’élèves par classe, gratuité réelle), les transports (développement des trains du quotidien), la culture et les crèches. Il faut recruter massivement des enseignants, des soignants, des travailleurs sociaux, redonner du souffle aux territoires, et planifier la bifurcation écologique vers 100 % d’énergies renouvelables.
Comme l’a rappelé Manuel Bompard face à Laurent Wauquiez sur BFMTV, il ne s’agit pas de « racketter les riches », mais d’exiger une contribution minimale de justice. Une fiscalité plus équitable est indispensable pour financer les politiques publiques sans coupes sociales. En octobre 2023, lors du débat budgétaire, les parlementaires LFI ont démontré qu’il était possible de passer sous les 3 % de déficit public en rétablissant l’ISF, en taxant les superprofits et en supprimant la flat tax sans toucher aux minima sociaux.
La dette, elle non plus, ne doit plus être un tabou. L’endettement public peut être un levier puissant, à condition qu’il serve l’intérêt général. En France, le multiplicateur budgétaire est estimé à 1,39 : chaque euro dépensé génère 1,39 euro de PIB. Cela justifie d’orienter l’investissement public vers les ménages modestes, les services publics, les infrastructures, la transition écologique. Pas vers des cadeaux fiscaux aux grandes fortunes.
À l’inverse, réduire les allocations comme le RSA n’a aucun effet avéré sur le retour à l’emploi. Toutes les études le montrent : ce n’est pas le manque d’effort qui empêche les gens de retrouver un travail, c’est le manque d’emplois. En moyenne, il y a 26 chômeurs pour chaque poste disponible. Faire la chasse aux pauvres n’a jamais créé un seul emploi. C’est une violence sociale inutile, et un mensonge économique.
Une autre voie existe. Elle est prête. Elle est finançable, crédible. Elle est soutenue par une majorité de la population. Elle redonne tout simplement à l’État son rôle fondamental : celui de protecteur des faibles, garant de la justice sociale, moteur de la bifurcation écologique.
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Source: https://linsoumission.fr/2025/06/12/inegalites-profondes-france-macron/
URL de cet article: https://lherminerouge.fr/sous-macron-une-societe-profondement-inegalitaire-le-constat-implacable-de-ce-rapport-li-fr-12-06-25/