
Vincent Jeanbrun, récemment nommé ministre de la Ville et du Logement, est aussi l’ancien maire Les Républicains de l’Haÿ-Les-Roses, dans le Val-de-Marne. Son credo lors de ce mandat : « bétonner à tout va ».
Par Fanny MARLIER.
L’Haÿ-Les-Roses (Val-de-Marne), reportage
À peine franchie la porte de sortie de la gare de l’Haÿ-Les-Roses, dans le Val-de-Marne, que le bruit d’une pelleteuse flotte dans l’air. Établissement scolaire, complexe sportif et immeuble de neuf étages… Sur la droite, le projet du futur quartier de l’Allier s’affiche en images 3D autour du chantier en cours. Au total, l’ancien maire Les Républicains de cette commune d’Île-de-France, Vincent Jeanbrun — récemment nommé ministre de la Ville et du Logement — a initié pas moins de cinq grands projets d’aménagements. Certains commencent à sortir de terre, quand la plupart peinent encore à prendre forme.
Encore aujourd’hui, nombre d’entre eux laissent comme un goût amer à une partie des 31 000 habitants. La raison ? Au bilan de Vincent Jeanbrun figure notamment la destruction du square Léon Jouhaux en 2019 au profit d’un ensemble de halles luxueuses qui n’ont jamais attiré les foules. Sans oublier l’abattage d’une quarantaine d’arbres du square Allende, en bordure de la plus ancienne roseraie au monde, un petit matin d’hiver, en 2020, et sous surveillance policière.
À la place, le promoteur Emerige prévoit d’y construire une résidence de 94 logements au « charme d’une architecture noble ».
Son plan : « bétonner à tout va »
« À l’Haÿ-les-Roses, le plan de Vincent Jeanbrun a été de bétonner à tout va, sans harmonie ni planification, résume Sophian Moualhi, conseiller municipal d’opposition (DVG). Il a voulu aller très vite pour changer la sociologie de la ville, mais force est de constater que onze ans plus tard, l’effet n’est pas encore au rendez-vous. » Sollicitée par Reporterre, la mairie n’a pas répondu.
Durant les élections législatives de juin 2024, cet ancien assistant parlementaire de Valérie Pécresse l’a emporté dans la 7e circonscription du Val-de-Marne au terme d’une campagne particulièrement dure contre la députée insoumise sortante, Rachel Keke.
La vision de la ville à la sauce Jeanbrun se lit à travers son plan pour les banlieues dévoilé en juin dernier. Intitulé « Réparer les quartiers, rétablir la République », celui qui est opposé au logement social à vie prévoit notamment d’augmenter la vidéosurveillance dans le parc social, d’entériner la vente de logements sociaux au bout de trente ans pour « faire de la France un pays de propriétaires », d’autoriser l’usage des drones par les forces de l’ordre et d’organiser un système d’élections pour les juges.
Arrivé à la tête de la mairie en 2014, l’élu a depuis « engagé sa ville » dans une série d’opérations immobilières « hasardeuses », fustige l’Atelier local d’urbanisme et de développement de l’Haÿ-les-Roses (Aludhay) dans un communiqué publié le 20 octobre. L’association cite pêle-mêle « la place de la nouvelle gare de métro essentiellement minérale », « un espace de chaleur qui menace la survie de la Roseraie », ou encore l’incapacité de la municipalité à « imposer aux promoteurs des contraintes écologiques à la hauteur de la situation actuelle ».
« La place de la nouvelle gare de métro est essentiellement minérale »
À un peu plus de 1 kilomètre de la gare en direction du centre-ville trône une halle vitrée au style « néo-Baltard ». Fin août 2019, en deux jours à peine, la municipalité a rasé les 32 arbres du square Léon Jouhaux et son terrain de pétanque pour laisser place à une large dalle en béton destinée à accueillir une « Halle des saveurs ».
Un projet luxueux d’un coût total de 15 millions d’euros pour des étals de vente et de dégustation. Inspirée du Borough Market à Londres, elle devait à l’origine rester ouverte six jours sur sept en remplacement du marché populaire de la commune, présent lui, deux matinées par semaine.
Face aux prix prohibitifs proposés, le projet fut un échec cuisant. « Les traiteurs ouverts six jours par semaine se retrouvaient de fait avec une fréquentation très basse et n’arrivaient pas à payer leurs équipes et leur emplacement tandis que les habitants se sont tournés vers des marchés moins chers des communes alentour », détaille Sophian Moualhi, conseiller municipal d’opposition (DVG).
48 arbres, dont certains centenaires, rasés
À tel point qu’un an après l’ouverture, en 2023, la commune a dû reprendre la gestion du marché qu’elle avait déléguée. Résultat : le nombre de jours d’ouverture est repassé à deux par semaine. Terminées les huîtres et la trattoria italienne : restent uniquement des étals de produits mais leur taux d’occupation de la halle atteint tout juste les 45 %, comme le pointe un récent rapport de la Cour des comptes. Au terme de négociations, la Ville a dû racheter le matériel de la société gestionnaire, financer une remise en état, et reprendre à son compte l’emprunt de 2 millions d’euros contracté par l’entreprise.
À l’Haÿ-les-Roses, l’effacement d’un autre square a marqué les esprits. Quelques centaines de mètres plus loin, nichée entre le célèbre parc de la Roseraie et l’église, il ne reste plus aucune trace du square Allende et du manège pour enfants. À la place, on trouve un préfabriqué du promoteur Emerige posé en guise de bureau.
« La mairie a fait tout ça en catimini »
En 2020, malgré les mobilisations d’habitants, les différents recours d’associations, 48 arbres, dont certains centenaires, ont été rasés pour faire place à ce projet de nouveau centre-ville cossu fait d’immeubles sur trois étages, de parkings et de commerces.
« La mairie a fait tout ça en catimini, se remémore Angela Avan, haÿsienne et cofondatrice du groupe national de surveillance des arbres (GNSA). La veille avait simplement été affiché un arrêté d’élagage. Le lendemain, les services municipaux ont embarqué toutes les voitures garées dans la rue à la fourrière, ils avaient bloqué la route avec des cars pour que les militants ne puissent pas approcher le site. Ça a été un carnage. »
L’opération de transformation du quartier peine à démarrer
Un an plus tôt, le 8 mars 2019, un avis de la mission régionale de l’autorité environnementale (MRAE) pointait pourtant les effets nocifs de la concentration d’habitants sur la qualité d’air et sur l’environnement sonore de la zone. L’autorité s’inquiétait également de la destruction des arbres jouxtant le parc de la Roseraie alors qu’ils permettaient « un rafraîchissement de l’air et un apport d’humidité ».
Créée à la fin du XIXᵉ siècle, la Roseraie du Val-de-Marne est un conservatoire à ciel ouvert d’espèces rares et anciennes réputées dans le monde entier que ce projet immobilier menace. « Les effets délétères se constatent d’ores et déjà sur les roses, se désole Colette, une ancienne habitante de la commune à l’origine du collectif Touche pas à ma roseraie. Les roses ne sont plus protégées par les arbres, donc entre le vent et le manque d’oiseaux et de chauves-souris qui attaquaient les pucerons, certaines roses disparaissent. »
« Les roses ne sont plus protégées par les arbres »
Si la ville promet de nouvelles plantations d’arbres, cela ne suffira pas, insiste Angela Avan du GNSA : « Pour rafraîchir l’air, ce qui compte c’est la taille et l’épaisseur des feuilles que l’on trouve chez les arbres anciens et grands, ils aident d’ailleurs à faire pousser les petits alentour. »
En parallèle, l’opération de transformation du quartier peine encore à démarrer. « Cinq ans plus tard, le projet est toujours bloqué car peu de logements ont été vendus en amont, explique Sophian Moualhi. Vincent Jeanbrun a lancé des opérations partout en même temps, et ceux situés loin du métro se vendent forcément moins bien. »

En novembre 2022, à l’Haÿ-les-Roses, Vincent Jeanbrun organisait une grande réunion publique en vue des élections municipales de 2026. L’occasion pour celui qui a largement bétonné la ville de présenter son nouveau parti sobrement intitulé « L’écologie positive ».
Voici comment l’actuel ministre de la Ville et du logement résumait alors sa vision de l’écologie : « Être positif c’est pas de voir le pot de rillettes à moitié plein ou à moitié vide. Quand on est positif comme on l’est, on le voit totalement plein, il y a de la rillette et il y a de l’air, et on a besoin des deux pour vivre… Avec le sourire et la banane ! » De quoi laisser pantois.
UN MINISTRE EN JUSTICE POUR DEUX AFFAIRES
Deux procédures judiciaires visent par ailleurs le ministre. À la suite d’une plainte contre Vincent Jeanbrun déposée par Anticor en 2021, puis en 2022, le Parquet national financier a ouvert une enquête pour favoritisme. L’association reproche à l’ancien maire des pratiques irrégulières avec Citallios, l’aménageur principal de deux projets de la commune. Cette procédure est toujours en cours, indique le parquet national financier à Reporterre.
Vincent Jeanbrun est également au cœur d’une autre affaire : en 2024, à la suite des révélations de Mediapart, le parquet de Créteil a ouvert une enquête pour « prise illégale d’intérêts », « concussion » et « détournements de fonds publics ». La justice le soupçonne d’avoir octroyé pendant plusieurs années des appartements d’un syndicat intercommunal qu’il présidait à son chef et son directeur de cabinet. Contacté par Reporterre, le parquet de Créteil n’a pas donné suite, Vincent Jeanbrun non plus.
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Source: https://reporterre.net/Vincent-Jeanbrun-le-ministre-de-la-Ville-qui-betonne-a-tout-va
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