
Le 9 septembre 1944, il y a 80 ans, l’incendie de l’abri Sadi-Carnot, à Brest, faisait d’innombrables victimes, dix jours avant la libération de la ville. Lors de la commémoration, des descendants racontent la balafre, toujours douloureuse.
Par Steven LE ROY.
Mais que diable faisait Lionel Cousin à Brest, dans la nuit du 8 au 9 septembre 1944 ? Ce gaillard de 36 ans, vivant à au Havre, est pourtant l’une des victimes qui a péri en un instant dans l’épouvantable incendie de l’abri Sadi-Carnot. Ce soir-là, il faisait partie de la troupe des civils agglutinée dans le ventre de la ville, alors que le siège de Brest faisait rage depuis un mois. L’abri, long de 260 mètres, était séparé entre les civils brestois et des Allemands, parachutistes ou ouvriers. Dans leur parcelle, de l’essence et des munitions. Personne ne saura sans doute jamais le pourquoi du comment mais ce dangereux mariage va provoquer une violente explosion qui va tout emporter. 80 ans plus tard, alors que des écoliers brestois disposent, sur une estrade, des roses blanches et rouges lors de la cérémonie anniversaire, le nombre de victimes reste aussi un mystère. Plus de 300, moins de 400. Aussi, 45 personnes sortiront du brasier à temps.
Un oncle, un grand-père
« Je m’appelle Lionel Cousin. Mon prénom vint de mon oncle qui est mort ici ». Ce Lionel Cousin, 66 ans, vient exprès de Rouen pour le moment solennel. Ce drame, cette blessure éternelle, il en a entendu parler dans la bouche de son père. « Il a eu une vie incroyable. Avant le drame brestois, il avait courageusement porté secours et sauvé huit personnes lors du naufrage d’un cargo pilonné au large du Havre, en 1940 ». Une figure familiale, « un héros et un martyr, les deux à la fois, poursuit l’(autre) Lionel Cousin. C’était important pour moi de venir ici ». Il n’est pas le seul à raconter l’histoire de la balafre éternelle, celle qui fouette l’universel comme l’intime de ces familles qui portent encore ce deuil. « Moi, c’est mon grand-père », raconte Jean-Michel Ropars, un Brestois. Ce grand-père resté dans le déluge de feu, « pour voir si sa maison de la rue Hoche n’allait pas être pillée », alors que femme et enfant s’étaient réfugiés à Plestin-les-Grèves (22).
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Des corps sans identité
Ce grand-père, dont le visage dans le cadre en bois façonnera la vie de son père « et d’une certaine façon aussi la mienne », périt aussi dans ce boyau de l’enfer, 25 m sous terre. « Enfin, peut-être. Personne n’a jamais identifié son cadavre, ce n’était pas possible dans ces temps si troubles. C’est l’hypothèse la plus crédible et puis, il le fallait pour que ma grand-mère puisse toucher quelque chose, il a été déclaré mort ici ». D’où, chacun le comprendra, la fluctuation sur le nombre de victimes, certains corps carbonisés ne pouvant être ni complets, ni identifiés.
Un long travail de généalogiste
C’est pourtant le travail de titan qu’a entamé Pierre Landrin, il y a onze ans. Ce généalogiste amateur connaissait bien sûr l’histoire de cette tante morte dans l’abri. Mais, en tirant sur la sinistre pelote, il a découvert que huit des siens avaient trouvé la mort ici, cette nuit-là. Les enfants, les petits-enfants, des beaux-fils. Une hécatombe. Son émotion l’étreint toujours comme elle aiguise les appétits de Youen Kervella et Bruno Frédéric, qui ont repris le flambeau de la mémoire. « Il faut donner une individualité aux gens, nommer les victimes et trouver les histoires » martèle Youen Kervella, 22 ans, étudiant en Histoire. Ils ont donc établi un site internet avec des appels à généalogistes et contributeurs. « Les victimes de l’abri » collectent témoignages et identités, au fil des collaborations. Car que ce soit André Mignon, né le 30 juin 1944 et plus jeune victime, ou des familles entières, les Segalen, les Le Coant, la mémoire est exigeante. Elle se dispensera peut-être de savoir que Lionel Cousin était arrivé à Brest pour recoller les morceaux d’une histoire d’amour.
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